Je pense à toi
Yannick Darbellay
Le soir je pense à toi, des fois.
Ça me rend triste de penser à toi. Alors j'ouvre la fenêtre et la solitude coule dans ma chambre, jusqu'à mon lit, ce lit où je t'avais couchée au premier soir de notre amour.
Il fait froid. Je me penche en avant pour souffler vers la rue des petits nuages de vapeur, qui périssent instantanément, saisis par la nuit. Je souffle ; je fais le vide ; je souffle ; je fais le vide. Ça ne marche pas.
Le soir, je pense à toi.
Des fois, j'aimerais cesser de ruminer ton souvenir. Je suis triste le soir, et tu dois l'être aussi. Peut-être.
Quand je vais bien, quand je parviens à sourire, je me dis
« Ça roule, ça roule pour moi. »
Je me dis que je me relève.
Mais vient l'heure d'affronter le sommeil. Alors tu reparais dans ma tête, et ça va plus si bien que ça. Ton souvenir m'accapare, et mes insomnies m'entraînent de plus en plus loin, vers l'aurore.
Des fois, je voudrais que tu ailles pire que moi, de travers. Que tu vrilles vers un sale hiver. Que ton spleen batte des records sur l'échelle du chagrin. Pire que le mien. Et à la fin je gagnerais. Mais j'en sais rien. Peut-être que tu... qu'un autre, j'en sais rien. Peut-être qu'on a les deux perdu.
Je ferme la fenêtre. Je lis, j'écris. J'ai froid maintenant. Les vagues de fatigue s'en vont puis reviennent en vain.
T'es entrée dans ma vie; je disais « je sais pas ». Mais t'as tout bousculé. T'as voulu que je te fasse de la place, là, contre moi ; dans mon lit, dans mes bras. Tu disais :
« c'est comme dans un rêve. »
Je te répondais :
« je sais pas. »
Pourtant j'aimais bien ça. Ton odeur, ta voix. Ma main sur ta joue. Ton regard tellement clair. Tes yeux, et quoi, avec tellement de beauté dedans, en profondeur, tu sais. Les yeux troubles. Bleus, verts. Tu me faisais peur, un peu.
T'as pris tellement de place, celle que je te faisais, et plus encore. T'as tout pris, là, tu sais ? Je suis pas si solide que ça, moi. Je t'avais prévenue. Faut pas me faire du mal.
T'as rien compris. Tu pouvais pas faire gaffe ? Tu savais tout à l'avance, déjà, et t'as rien arrêté.
J'ai pris un sac, un grand, un large, et j'ai enfoncé tous nos souvenirs dans sa gueule.
« T'es mignon, viril, je suis folle de toi ».
J'ai tout jeté, les mots écrits, les « bisous », les cadeaux. J'ai tout jeté, j'ai tout effacé, glissé dans la bouche avide du grand sac blanc.
Mais la tête ça se vide pas comme une boîte à souvenirs. La colère elle s'en va pas si facilement que ça.
La colère.
J'en fais quoi maintenant de toute ma rancœur. Dis-moi.
Je songe à toi, le soir, parfois. Est-ce que tu penses à moi ? Est-ce que tu chiales ? Est-ce que tu te sens moche ? Tu pourrais. T'es pas belle. T'es dégueulasse.
Je fais quoi, le soir, quand la foutue nuit noire se pointe, quand les voisins font grincer le lit et que je suis seul, à mon bureau, avec ma musique qui chiale sur les murs, partout, quand le train de fret de minuit traverse ma musique, comme un orage, taboum taboum taboum, sur ses parallèles rouillées, tellement cafardeux, et qu'il n'en finit pas de courir vers je ne sais quels horizons perdus.
Et que je pense à ton cul.
J'aimais tes yeux, ta nuque, ton cou, où je déposais des baisers mitraillette, les bisous en rafale, jusqu'aux oreilles, et ça te chatouillait. J'aimais ton cul. Je sais pas le dire autrement.
Tu me disais viens et je venais, et je te disais viens, et tu me mordais. J'étais en plein dans toi, et tu me disais reste, et je restais. J'aimais ça, j'étais bien, au tiède de ton nid, et t'aimais ça pour de bon. Tu t'accrochais, tu voulais qu'on se mélange jusqu'au bout, nos deux peaux fondues l'une dans l'autre et les caresses, les griffures, les soupirs, « Viens! », « Viens! », nos fluides, la sueur, nos mots susurrés au creux de l'oreille, nous deux tout mélangés, tout ruisselant d'amour. Dedans toi folle de moi, contre moi.
Tu l'as tant répété que j'ai fini par t'entendre. Les mirages, c'est mon domaine. Alors quoi ?
Je sais pas quoi dire. Je sais plus.
J'essaie de t'oublier, maintenant.
Et puis des fois je pense à toi. C'est le soir que ça vient. Avec le crépuscule. Quand je suis seul, chez moi. Il faut du temps pour se remettre d'aplomb. Est-ce que t'as terminée de souffrir, toi ? Est-ce que t'as souffert ? Rien qu'un peu ? J'aimerais bien. J'aimerais bien que tes soirs soient peuplés de mon souvenir. De mes yeux que t'aimais. De mon cul.
Et quand tu m'appelleras pour me dire que tu penses à moi, des fois, quand tu voudras entendre ma voix, je dirai non.
Celui-là, c'est de loin mon préféré. Il est tout simplement époustouflant, je ne sais vraiment pas quoi dire, Le souffle coupé. Il y a quelques fautes d'orthographes en revanche.
· Il y a environ 10 ans ·Mais ton texte a vraiment un rythme, les phrases s'enchainent parfaitement. J'aime bien ce côté un peu décalé, tes comparaisons totalement tordues, et on se retrouve vraiment dans ton texte, t'es impressionnant.
Merci de m'avoir procuré autant de plaisir, tu as quelque chose de vraiment particulier dans ta manière d'écrire.
Camille Baril
Ouah, merci pour toutes ces belles remarques
· Il y a environ 10 ans ·Yannick Darbellay
pfffff....j'aurai bien aimé l'écrire moi-même çui-là...magistral.
· Il y a environ 10 ans ·El. Imy
merci
· Il y a environ 10 ans ·Yannick Darbellay
J'aime beaucoup !
· Il y a environ 10 ans ·parismrs
Oh , content qu'il te plaise! Merci
· Il y a environ 10 ans ·Yannick Darbellay
Pfiou. Je me souviens trop bien de celui-ci.
· Il y a environ 10 ans ·La claque, encore une fois.
C'était un beau cadeau. Superbe.
rafistoleuse
Et en plus t'aurais peut-être gagné le défi de cette semaine avec ce texte ^^'
· Il y a environ 10 ans ·rafistoleuse
Merci raf :)
· Il y a environ 10 ans ·Yannick Darbellay