je peux rester des heures

Guillaume Allardi

Je peux rester des heures assis à ne rien faire,

Sous les lustres obscurs de ces Bars-restaurants ;

Dans la zone fumeur, entouré d’hommes d’affaires,

Je peux rester des heures, je peux tenir longtemps.

En seigneur je savoure le calme des grands fauves

Pour me faire oublier, sage comme un sniper,

Je bois des cafés noirs sur la banquette mauve

Et je n’ai l’air de rien, mais c’est ça qui fait peur.

C’est souvent au comptoir que s’achève ma Mission

Bénissant chaque soir la tâche qui m’incombe

J’aime en levant le coude, pour subir ma pression

Sentir le poids du Ciel qui tournoie et qui tombe

Je regarde monter de la masse des hommes

Leurs paroles perdues abolies dans le souffle

Leurs prières pareilles à des ballons d’hélium

Disparaître dans l’air comme les pierres aux gouffres

Notre vie se déroule sur un plan incliné.

Vanessa Paradis va plonger pour deux grammes.

J’avoue qu’à un moment la mort m’a fasciné ;

C’est une tragédie. N’en faisons pas un drame…

Le jour se lève encore pour nous voir travailler.

Une maladresse quelconque, une perte de clés peut-être

Viendra nous perturber à la pause déjeuner.

Nous compterons les heures, le nez dans la fenêtre

Puis c’est le soir. On sort. Il faut bien s’habiller.

Avec ce Mal en nous comme un enfant à naître.

 


Avec ce Mal en vous comme un enfant à naître

Hommes. Femmes. Chaque matin vous êtes des millions

A couler comme un rêve obscur sur le boulevard

A fredonner des airs idiots de rébellion

En marchant résignés vers les grands Laminoirs

Vous êtes des millions à ne pas vous connaître

Et vous êtes Paris les foules fatiguées

Commerçants ou clochards couchant dans les déchets :

Ecrivains alcooliques, Etres humains déprimés

Paris qui n’est Paris qu’avalant ses cachets

Moi je m’en fous un peu, je peux rester des heures

Assis à ne rien faire dans les bars-restaurant,

Dans la zone fumeur, entouré d’hommes d’affaires,

Je peux rester des heures. J’en ai pour mon argent.

Et vous viendrez peut-être vous asseoir tout près

Dire les choses banales à une connaissance,

Parler de vos problèmes, médire du progrès,

Des impôts qui augmentent et du prix de l’essence.

Assez fidèle, finalement, la vérité

Paresse et déchiffrer des murs qui disparaissent

Le monde écrit sa phrase unique dans la presse

L’Enfer n’est pas si loin il suffit de gratter.

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