Je s'rai une vieille peau

Quand je serai vieille, ayant allègrement passé les 85ans et confortablement enfoncée dans mon rocking-chair, une couverture patchwork hand-made sur les genoux, je pourrai balancer sans vergogne et tout haut, toutes les saloperies pensées plus ou moins bas au cours de ma vie.

Je pourrai faire la liste de ceux que j’ai maudits, méprisés, souhaités étriper à l’aide d’un vieux couteau rouillé. Et puis je rirai. Je rirai parce qu’en fait, il n’y aura aucun nom à mettre sur cette liste.
Pas parce que je n’aurais croisé aucune pétasse ni aucun connard. Pas parce que mon cerveau flanchera.
Il n’y aura pas de noms parce qu’ils auront été rayés de ma mémoire depuis bien longtemps, déclarés parfaitement inutiles ou symboliquement morts, balancés aux oubliettes, virés de mon iphone et de ma vue en temps voulu.

Oui, en fait je suis déjà une vieille peau.

Quant à ceux qui resteraient, dont je n’aurais pas pu me débarrasser malgré moult efforts et insultes fleuries, et qui auraient encore la connerie de venir me voir, je me montrerai plus odieuse et acariâtre que la plus pourrie des vieilles rombières.

Ce ne sera pas de la haine ni même de l’ennui. Juste une folle envie d’être encore une sale gosse avant d’être un tas d’os.