Je suis heureux

Oskar Kermann Cyrus

C’est le matin, je me lève, dans ma tête c’est plein de brouillard, je marche sur des idées-lunes, je marche dans le vide, mais ça me suffit, j’ai mes pilules.

Putain, je suis heureux, je vais bientôt doubler la dose, je souris, j’en ris, je me sens bien, je prends la jolie pilule blanche. C’est le matin. J’arrive à regarder le soleil en face, et moi dans mon reflet, je me sens bien. Je suis heureux. Je me regarde dans les yeux.

J’ouvre l’eau, je prends un verre, le remplis, et prends ma pilule. C’est le matin, qu’il pleuve, qu’il grêle, qu’il neige, putain…

La vie est belle.

Je vais doubler la dose. C’est le matin, il fait beau, je prends mes pilules, je vais bien. Je suis heureux. Je me regarde en face, le soleil dans les yeux, j’arrive à m’aimer un peu, tout va bien pour les monstres, je n’aurai plus jamais peur d’eux.

Je laisse les fantômes partir par le fond de mon verre, pas de trace évidente, je le laisse tomber : il se brise.

Ce n’est que du feu.

Je regarde le verre cassé, je regarde la coupure sur mes pieds. Je suis heureux. Je n’ai plus peur d’eux.

Ce n’est que MA MAIN qui se brise.

N’est-ce pas? De là, je reprends mes pilules, c’est le matin, il pleut, ça va: je vais mieux. Je vais partir loin d’ici, je me prépare dans mon crâne à ranger mon esprit. Il n’y a plus rien. C’est bien. La vie est belle.

J’ai doublé la dose.

Je vais partir tout à l’heure. Je vais partir. Je regarde l’endroit vide que j’appelais “ "chez moi” ". Je ne comprends pas. ça ne me dit rien. Je vais bien, pourtant, j’ai pris mes deux cachets blancs. J’ai pris le temps. J’ai pris le bonheur par la peau du cou, la vie par les cheveux pour que ces deux putes se laissent baiser comme elles le méritent.

J’ai pris mes pilules.

Mes deux cachets blancs.

Je suis heureux,

J’en suis heureux.

***

Oui, dis-je, La vie est belle.

Dans ma boite vide, je regarde le fond, et le fond du verre. Je ne suis qu’un sacré coup de cachet blanc. Tu le savais, toi, que ce n’était que le retour forcé des fantômes. L’oubli dans ma boite vide de pilules. Vide. Désespérément vide. Salement vide. Pleine de vide.

J’ai écrit. J’ai confondu le vide avec la vie. Un putain de D, rien qu’un putain de D, comme le jeu du hasard qui transforme l’absolu plein en absolu néant.

Une boite vide de pilules blanches de bonheur en solde. Du bonheur acheté quotidien. Un autre contrat passé avec le diable. Je lui ais vendu bien plus que mon âme.

ça me manque. Je tremble, je vais mal, j’ai la tête qui tourne. Ce qui n’était qu’un murmure énervant au fond de mes oreilles devient un bruit insupportable.

La vie est belle: Je vais mal.

Je suis heureux, oui, je fais semblant. Sans mes pilules, je ne vaut plus rien, vous n’êtes plus là, mes amis, sans mes cachets de survie je ne suis rien qu’un automate au mécanique sourire enfumé. De la cendre. De la mécanique et de la cendre. Je vous regarde, vous me croyez, je suis heureux, vous me croyez.

Je suis insupportable.

Insupportablement laid.

Laidement insupportable.

Je suis heureux:

Je vais mal.

Je vous regarde me parler et me sourire, je vous laisse me dévorer. Vous ne savez pas comme j’ai peur de vos yeux, de vos mots, de votre rire, de vos dents. Je vais mal, putain, je suis mal.

C’est à pleurer.

Bête à pleurer.

Les pilules m’aident à me lever

Les pilules m’aident à marcher

Les pilules m’aident à VIVRE

Les pilules m’aident à parler

Les pilules m’aident à sourire

A rire ; à ne pleurer que de rire

Les pilules me rendent heureux.

Je regarde du fond de ma boite vide les monstres qui me font toujours peur, les fantômes qui ne se sont jamais brisés avec les coupures de verre, les morts qui sont restés dans mes rêves.

Je regarde ce désordre.

Je pleure, je me griffe,

Je me tue à petit feu.

Je cris.

Mais je sais

- la vie est belle -

Que  ce bonheur est soldé

- je suis heureux -

Pour le restant de MA VIE.

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