Je suis malade.

jjaji

Quand elle me prend le ventre, quand elle me couple le souffle, la maladie m'anéantie. Quelques derniers mots jetés à l'eau, pour dire combien j'ai aimé vivre, combien la douleur me rend docile. Je me battais férocement, mais je n'y crois plus. Je revois cet avenir qui ne viendra pas, toujours plus beau qu'il aurait été. Je crie une dernière fois, je pleure, je pense à la joie. Je ne reviendrais pas. La solitude m'emprisonne, faites que le ciel me pardonne, j'abandonne. Noyé sous les coups de ce corps qui ne se relève plus, coulé sous l'espoir fou de m'en remettre un jour. Mon regard ne vous voit plus, je suis immobile face à ma chambre vide, perdu dans les malentendus. Je devais guérir, je ne devais pas mourir. Mais mes paupières se font lourdes, le sommeil éternel me guette. Mais qui peut dire que ça ne lui fait rien? Qui peut dire qu'aujourd'hui est mieux sans lendemain? Je n'en peux plus, de cette pluie de médicaments qui me prend, me fend. J'ai été bercé par la chaleur de l'hôpital pendant les matinées hivernales, étouffé dans les draps quand le soleil faisait la loi. Je repense au sable entre mes orteils, à la mer qui était si belle et qui le sera toujours. J'ai mal, d'une souffrance infernale, qui me brouille l'esprit, qui me vole ma vie. J'ai mal de ne plus rire, de ne pousser que d'infimes soupirs. Mon dieu j'ai peur, de tout lâcher, de céder sous le poids de la douleur. Je hais ces réveils emplis de terreur, ce malheur persistant. Vous êtes venus me voir, caresser l'envie de me revoir vivant. C'est peut-être mieux de partir avant que le temps ne se gâte de trop, de souffrir plutôt que de mourir à la hâte. Ne pleurez pas, mon calvaire s'arrête là, ne tombez pas, je ne suis plus là. Mon corps est fluide, devient liquide. Je m'échappe doucement, je meurs en silence. Sans bruit, pour ne pas vous réveiller au cœur de la nuit, discrètement en espérant m'échapper. Je sens vos mains qui m'enrobent, me soulèvent, me relèvent. Mon âme s'envole mais mes pieds restent au sol. Le noir prend fin, la lumière revient enfin. Je suis parti, c'est la fin. Je défile parmi les vies, imagine l'amour, les promesses d'infini, c'est fini. Je ne serais jamais vraiment mort, toujours vivant par erreur, pour mon existence insolente, imprévue. Je creuse dans vos cœurs, y extrait ma présence. Je dois vous faire un aveu, évidemment, j'aurais voulu vivre! Mais je suis ivre de rêves jamais exhaussés, jamais oubliés. N'oubliez pas, avant de pleurer, n'oubliez pas ces longues années rythmées par le passage des médecins. Je n'en voulais plus, je voulais quitter ce chemin de soin, partir si je ne pouvais pas guérir. Mais, mes amis, je me souviens. De ta main dans la mienne Valentine, des ballades au long de la Seine, de nos dîners  improvisés au pied de la tour Eiffel, tout n'était que beauté si je suivais ton corps élancé. De nos rires francs, des 400 coups, des bières coulant à flot, des cours emmerdants, des notes s'échappant de la grange, je n'ai pas oublié les vieux copains. Je me souviens de tout ça, mais je ne peux plus vous le raconter. C'était une connerie de croire qu'on aurait le temps de profiter de la vie, de tout ce qu'on avait construit. C'était une connerie de se répéter sans cesse que plus tard tout ira mieux, que demain on sera peut-être heureux. C'était une connerie de traverser à cet instant là, de ne pas avoir compris qu'un con allait m'arracher de vous, que certains oublient de freiner. Je m'en veux de m'être étalé devant vous, de vous avoir imposé cette image là jusqu'à la fin de vos jours. Quand j'y pense, j'ai honte. Mais la douleur écrasait la fierté, piétinait toutes sortes de pensées. J'aurais tellement voulu pouvoir me relever, vous rejoindre,on aurait fumer nos clopes en se disant qu'une fois de plus on y avait échappé, que rien ne pourrait nous arrêter. Sauf un chauffard. Au début, je sentais vos regards pesant sur moi, je pensais que vous déliriez, qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Je me voyais sur pieds pour l'été, je devais emmener Valentine sur les îles grecques, et avec vous, les gars, faire un road trip improvisé. Vos yeux et vos sourcils froncés me suppliaient d'arrêter mais vos voix m'accompagnaient dans ma confiance. Par respect, vous m'avez longtemps après maintenu loin de la vérité, il me fallait ça pour vivre, vous l'aviez bien compris. "Il ne remarchera plus" comment avez-vous réagi? Pour moi, à cette époque, ce n'était pas encore fini, je rêvais de courses de fauteuils, de techniques de drague infaillibles. Je me voilais la vérité, j'étais comme un aveugle devant un livre, j'essayais désespérément de croire au bonheur. Je crois que finalement, vous avez plus souffert que moi dans ce moment là. Mon déni était si fort qu'il me préservait de la brutalité de la réalité. La chute a, par contre, été douloureuse. "Nous allons devoir vous opérer du cerveau, vous allez être mis quelque temps dans un coma artificiel", deuxième claque, j'avais tendu la joue gauche ce coup ci, celle qui faiblit sous les coups, qui n'en peut plus, qui appelle au secours. Mon cri a été silencieux, le temps a été suspendu. Il m'arrivait de vous entendre, que vos voix pénètrent jusqu'à mon cerveau malade:
"-Tu verras ça va aller, mais si tu savais comme tu me manques. Ne t'en fais pas, ce sera bientôt fini, bien sûr que ta vie ne sera plus jamais la même, mais tu es fort, hein? Dis moi que tu es fort! Tu arriveras à tourner la page, et puis, on sera tous là. Tu m'entends, dis, tu m'entends? Oh mon dieu, en fait,je dois avoir l'air stupide, que tu m'entendes ou non. Je reviendrai demain, reposes toi bien. Et merde."
"-Bonjour mon amour...
mmh...
tu sais.. tu sais, sans toi, rien ne va. J'ai besoin d'entendre ta voix pour calmer ma douleur..
je ne sais pas si tu m'entends mais je crois que c'est le moment ou jamais..
c'est pas évident tu sais..
tu devrais voir la lune comme elle brille..
allez, je me lance...
Depuis l'accident, je ressens une pesanteur en moi, comme si mon cœur ne suivait plus mes pas. Il crie vers toi, te supplie de revenir. Chaque soir, je me couche dans les draps et l'absence de ton corps endormi me glace. J'ai peur de cette fraîcheur dans le lit, des nuits qui n'en finissent plus, des dimanches à traîner sans avoir ri. Je ne m'amuse plus, je pense à toi sans cesse. Je me dis qu'on aurait pu avoir des enfants, un appartement plus grand, peut-être même une maison sur la côte.  Je nous imagine grand-parents, puis patients, tous deux à se tenir la main devant le temps qui file, la vie qui se défile. Je sais que je ne devrais pas te dire ça, il parait que c'est trop tard, mais moi j'y crois, au plus profond de mes entrailles, je sens cette force qui jaillit, qui te donnera la puissance de dire merde aux médecins, merde aux infirmiers, merde à ce con de chauffard, merde au ciel. 
excuse-moi... 
je sais que je m'emporte..
je crois que je débloque, que je perds la tête..
je t'aime tellement tu sais..."
Vous ne pouvez pas savoir ce que c'est, d'être si impuissant, je n'avais jamais ressenti ça comme ça avant. Je vous entendais pleurer pendant des heures, me parler parfois de votre malheur, me donner vos dernières forces, et je ne pouvais rien faire. Je devais rester là, témoin immobile de votre chagrin. L'enfer n'était pas loin, je n'avais qu'une envie, vous tendre la main, vous dire que tout ira bien, et que  même si ce n'était pas le cas, au moins j'aurai aimé. C'est grâce à ça que je suis parti léger, oui, j'ai aimé. J'ai aimé mes parents, être bercé lentement dans leurs bras maladroits, me construire au fils des ans, souffler mes bougies d'un air vaillant, apprendre à vivre chaque instant, manger des plats succulents. J'ai aimé passionnément une femme,plus belle que les autres dans sa différence, plus douce et plus forte. La plus belle femme du monde avec ses défauts et ses colères, ses mains balayant les airs et sa façon de ne pas se laisser faire. Je l'ai serrée contre moi, me suis imprégné des battements de son cœur. Oui, je l'ai aimé profondément, mais surtout différemment. Vous aussi, les gars, je vous ai aimé. Et j'ai aimé chaque individu, chaque matin, qu'il pleuve ou qu'il vente, chaque rue désertée, chaque musée, chaque voyage, chaque foulée contre le bitume abîmé, chaque sourire illuminé. L'amour m'a porté. Vous devez vous dire que je ne méritais pas ça, c'est ce qu'on dit en général, mais personne ne mérite ça. C'est après ma sortie du coma que j'ai compris ça, quand les minutes s'étiraient et que les saisons tournaient. Combien de temps suis-je resté là? Allongé, incapable de bouger même pas pour aller pisser. Mon corps ne me portait plus, mes lèvres ne s'ouvraient plus, mes doigts ne tremblaient plus. J'étais une statue, un déchet. J'ai lutté, une éternité il m'a semblé, mais j'avais mal choisi mon adversaire. Quel con de vouloir retarder ce qui devait arriver. J'ai compris ce que c'était la vraie souffrance, celle des prisonniers du destin. Je me suis demandé comment le ciel pouvait nous laisser subir ça et pourquoi la mort ne venait pas nous chercher. J'ai vécu plusieurs années dans la même chambre qu'un homme, sans avoir jamais pu le regarder, je l'entendais respirer, manger, souffrir mais nos yeux ne pouvaient se trouver. Comment la cruauté peut-elle laisser assez de souffle pour vivre? Je n'étais qu'un idiot câblé à des machines, assassiné dans ma propre volonté de pureté. J'étais devenu un cas d'étude, une interrogation médicale, la faille de nos médecines, et je n'y pouvais rien. Maintenant, c'est fini, je vous le redis, et mes pensées étaient pour vous, vous suppliant de ne pas pleurer, de rire pour chacun de mes soupirs. 

  • Vraiment touchant, une écriture poignante. C'est rare de réussir à produire un récit qui retient autant le lecteur dans la douleur du narrateur et la lui communique ainsi sans avoir toute une histoire à laquelle se référer et qui aurait pu créer un tel lien au préalable.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    31

    Pauline Perrier

  • D'une beauté tragique.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Gif hopper

    Marion B

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