Je suis sur la tangente

Nous en étions à la fin du premier mois de confinement. J'avais écumé tous les livres de ma bibliothèque à tel point que j'en étais à éplucher les pages promotionnelles du catalogue de chez Lidl qui traînait sur la table basse de mon salon. Je me pris de sympathie pour les pommes de terre, les carottes et les endives, entamant un étrange mimétisme envers mes amis les végétaux comestibles.

Je fus distrait par l'arrivée de mon fiston qui se décidait enfin à descendre de sa chambre. J'eus à peine le temps d'essuyer le filet de salive qui écumait mes lèvres à l'idée de me régaler d'une frisée.  J'avais presque oublié qu'il existât. Mais en bon père de famille, je remarquai immédiatement que son acné avait pris de l'ampleur et que sa moustache naissante confirmait qu'il  avait quitté les rives de l'enfance, démonstration de ses grognements pour son désintérêt des jeux puérils quand je lui proposai spontanément une partie de cache-cache ou de 1000 Bornes.

La bouche pleine de madeleines, je fus saisi par ses paroles, tant sur la forme que sur le fond et plus encore par les miettes qui vinrent consteller mon T-shirt que j'avais changé il y a peine une semaine. Sa voix devenue virile me fit sursauter. Quand il me demanda si je pouvais l'aider à faire ses exercices sur le théorème de Pythagore, mon rythme cardiaque grimpa de manière exponentielle. Dans un premier temps, j'essayai d'arrondir les angles, pris de panique à l'idée de passer pour un sombre crétin d'être incapable de résoudre un problème de 4^e, moi qui me vantais d'avoir eu une scolarité exemplaire. Je tentai de prendre la tangente en lui demandant s'il avait rangé sa chambre au carré et en lui rappelant qu'il m'avait promis il y a quinze jours de faire la vaisselle qui s'entassait dans l'évier de manière pyramidale.

Les enfants ne sont pas des idiots. Il remarqua que quelque chose ne tournait pas rond. Il ne fut pas dupe quand je prétextai un point de côté qui, fort logiquement, mettait à mal toute possibilité de me concentrer sur la géométrie. Il me reprocha ma ligne de conduite, allant même jusqu'à me traiter de père indigne.

Je n'eus guère le choix que de me mettre à la tâche. Le premier exercice fut très simple à démonter. Il fallait prouver que le Triangle des Bermudes était rectangle. Je lui enseignai ce qu'était un axiome en lui expliquant par a+b² qu'il était impossible de le résoudre car toute personne qui s'y était aventurée avait disparu pour l'éternité.

Pour le deuxième, je commençai à fulminer, avec l'idée de lui dire d'aller se faire voir chez ces maudits Grecs. On nous demandait de prouver que le triangle d'un musicien ne possédait pas d'angle à 90°. Dans ma tête, il tintait à me donner la migraine. J'avais comme une envie de projeter au visage de son prof de mathématiques une bouteille d'alcool à 70° à défaut d'avoir sous la main de l'acide sulfurique.  Je bottai en touche en allant me préparer un bol de Nesquik qui me ramena au générique de la pub des années 80, Rectangle, du regretté Jacno.

Pour le dernier, je repris ma respiration pour éviter de tomber dans un cercle vicieux. En considérant le terrain de football du Stade de France, il fallait calculer l'hypoténuse du terrain coupé en diagonale. J'ai découvert que les vingt-deux bourrins qui courent après la baballe  devaient parcourir 125 mètres. J'ai trouvé que c'était cher payé.

Il a reçu sa note, un 4/20 via École directe. Je maudis cette application où il n'est plus possible comme à l'époque des carnets de notes de masquer un impair en le planquant au fond du cartable. Mais, je lui ai promis qu'on allait se rattraper. La prof de musique a demandé à ses élèves de s'enregistrer à la flute et d'interpréter À la claire fontaine. J'ai déjà trouvé sur Youtube un petit génie de dix-huit mois qui l'exécute à la perfection. Promis mon grand, on va se refaire Question pipeau, je ne me débrouille pas trop mal.