Je suis un con !
darklulu
Plus les jours passent, et plus je m’aperçois que la notion de respect est comme la vitesse de la lumière : relative.
Je fais de mon mieux pour être celui qu’on attend de moi, c’est à dire et dans cet ordre : un bon père, un bon mari, et un bon salarié.
Je pense pouvoir dire qu’en ce qui concerne les deux premiers, je me débrouille plutôt pas mal. En revanche, c’est une autre histoire pour la troisième.
Je pensais qu’au début cela venait de moi. Je suis en effet le champion incontesté de la remise en question. Donc après avoir pratiqué cet art délicat à plusieurs reprises, j’en revenais toujours au même point.
Mon boss est un con.
Puis, dans un dernier sursaut de bonne foi, j’ai tenté de comprendre d’où venait cette certitude que rien ne parvenait à ébranler.
Donc reprenons depuis ma genèse professionnelle.
1992 : Oppressé par un climat familial tendu, je devance l’appel. Je me retrouve embrigadé dans l’armée, plus précisément dans la Marine. Pendant mes classes, j’ai eu le loisir de pratiquer des arts aussi variés que le nettoyage de la salle de bain collective à la brosse à dent, ou l’égalisation de la pelouse du stade au couteau à steak.
J’ai pratiqué ces disciplines avec minutie et méthode (même si l’envie de trucider un gradé à l’aide du couteau, ou mieux de la brosse à dent, m’a plusieurs fois traversé l’esprit).
Faut dire que le personnel chargé de l’instruction est gratiné. Je pense que nous avions là quelques beaux spécimens de cons. J’espère toutefois que ces derniers ne sont pas en voie de disparition. En effet, j’ai revu la plupart de mes instructeurs par la suite, et, sortis du contexte, ce n’étaient plus les mêmes personnes. Ils étaient cons par obligation, ils avaient affaire à un troupeau de jeunes cons, et il fallait bien qu’ils montrent qui étaient les patrons.
Et il faut croire que cela ne m’a pas trop mal réussi, puisque j’allais passer dix-huit années dans la Marine.
1993 : premier poste. C’était à Paris. Secrétaire du commandant de l’arrondissement maritime de Paris (ne vous moquez pas : il n’y a toujours pas la mer à Paris, mais il y avait bien un arrondissement maritime).
J’étais sous l’autorité directe d’un maître principal, qui à partir de 11 heures, frôlait le coma éthylique. Son adjoint, lui, c’était 10h30. Avec le recul je me dis qu’après 35 années à bourlinguer, être mis au rebus de la sorte, il y avait de quoi être amer. Cela n’excuse rien, mais ça explique.
1995 : J’intègre un service dont le devoir de réserve m’empêche de parler. Je dirais simplement que pendant 11 ans, des cons j’en ai vus un paquet. Je pense même pouvoir dire, avec une certaine fierté, que j’ai moi-même été le con de beaucoup d’entre eux. Mais j’avais mes raisons, comme eux avaient les leurs.
2006 : Il me reste trois ans à faire. Je vais les faire sur l’île de la Réunion. Là-bas, même les cons sont au repos, au ralenti. Bien sûr il y a eu quelques coups d’éclats, de ci de là. Mais les cons de là-bas sont fondamentalement les mêmes qu’ici, ils fonctionnent de la même manière. On prend ce qui nous intéresse, et le reste on le met de côté.
2010 : Fin d’une époque. Changement radical en ce qui me concerne. Me voilà cadre dans une société de sécurité privée. Je n’aime pas ça, mais faut bien bouffer (et je vous rappelle que j’ai quatre enfants à nourrir !). La première année se passe bien, enfin à peu près. Les cons que je côtoie ne me dépaysent pas. Il y en a même certains que j’aime bien. La deuxième année, la société est vendue, et nous voyons débarquer un gars, belle gueule, fringue de marque, grosse audi dans le garage, et absolument convaincu que la science est sienne, surtout si elle est infuse. Nous ne sommes plus des salariés. Nous perdons quelques années de progrès social, et nous voilà rétrogradés au rang de larbins. C’est là que ça a commencé à partir en sucette. Surtout quand je lui ai dit merde.
J’ai bien sûr connu, tout au long de ces années, des gens formidables. Mon parcours n’est pas jalonné que de cons, mais ce sont eux que je souhaite mettre en lumière, et quelque part, leur rendre un peu hommage, parce qu’ils me manquent. C’était pour la plupart des cons par choix. Des choix qu’ils assumaient pleinement en étant cons et en le sachant. Comme moi je peux l’être aussi. Le genre de con, dont la connerie est tempérée par le respect. Le même respect que je partage, et que je tâche d’inculquer à mes rejetons. Je vais donc aller jusqu’au bout de ce raisonnement en affirmant que je fais partie de cette catégorie : je suis un con.
Vous conviendrez donc par conséquent que cela me confère d’office le droit de parler de ce sujet, qui, certains jours, me frappe par son universalité.
Donc mon patron est un con. Mais en ce qui le concerne, il y a une différence avec tous les autres, moi y compris. Une différence qui fait de lui un être à part. Un être de légende, celui qu’on ne croise que dans les histoires drôles entendues dans les bars, à partir de 2 grammes. C’est qu’il ne se rend pas compte qu’il est con ! Mais c’est beaucoup moins marrant à vivre…
Il y a le discours et la méthode, et c’est frappant de voir les chemins divergents que peuvent emprunter ces deux notions chez cet homme. Le tout étant bien sûr assorti de la mauvaise foi qui va bien.
C’est le genre de gars, intimement convaincu qu’il est le seul être doué de raison, entouré de 7 milliards de gros cons, mais dans sa bouche, le mot à vraiment la connotation négative qu’il se doit.
Un tel argument, déployé avec la certitude absolue qu’il s’agit d’une évidente vérité, est totalement désarmant, croyez-moi. C’est même assez définitif.
Il paraît que dans certains cercles il y a plein de gens comme ça. Perso, je n’ai vraiment pas envie de savoir.
Mais depuis que je le connais, je remercie les cons de bonne volonté d’être ce qu’ils sont, et d’avoir fait de moi le con que je suis devenu.
on est envahie par les cons tres bien ecrit bravo
· Il y a plus de 12 ans ·christinej
Ahh, la mélodie des cons.
· Il y a plus de 12 ans ·Du coup ça me rappelle la phrase d'Audiard : les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait.
Belle démonstration d'humilité et d'autodérision, bravo ;)
jones