Je suis une Lady

lorine

   Je suis une Lady.

   J'ai été élevée au sein de la capitale du glorieux empire d'ambre. Mon père est un proche de l'empereur. Ma mère est l'une des femmes les plus belles de la ville.

Je n'ai jamais manqué de rien, j'ai tout eu et même le superflu. Beaucoup de superflu. À moi les belles parures, les belles robes, les meilleurs parfums, les jolis coussins, les plus belles poupées, les meilleurs livres. Tout ce que je voulais, je l'avais. L'avantage d'être une lady. J'ai vécu dans un monde doré dans lequel j'étais choyé et gâté mais aussi horriblement seule.

   Je suis toujours une Lady. J'ai été, je suis et je serais toujours belle. J'aime mon reflet dans le miroir et le monde extérieur semble être aussi de mon avis. Mes cheveux longs et blonds, ma posture, mon corps féminin et mon joli visage me donnent l'image d'une princesse, l'image d'une Lady.

   Je suis maintenant en âge de me marier. Quinze ans c'est jeune je trouve, et pourtant je fais partie des plus vieilles de mon entourage à ne pas encore avoir de mari.

   Les prétendants se bousculent à ma porte. Ils m'offrent roses, lys, lilas, colliers, bagues, bracelets, œuvres d'arts. On me promet de m'offrir monts et merveilles, des châteaux, des manoirs, des voyages. De côtoyer princesses, comtesses et duchesses. Mais jamais on me promet l'amour, de ne jamais me faire pleurer et de me rendre heureuse. Ça, c'est une promesse qu'on ne m'a jamais faite et que peut-être on ne me fera jamais. Sauf si le cliché... (pardon le destin), veut que je trompe mon futur époux avec un amant et que je trouve la tendresse au creux de ses bras.

   Je suis une Lady, moi. Je dois me marier avec un bon parti. Peut-importe qu'il soit gentil ou beau. L'important réside dans le prestige et le prestige réside souvent dans l'argent.

   Je vais me marier avec celui qu'on m'aura aidé à choisir. J'aurais un beau mariage. Le plus beau des mariages car je suis une Lady. Dans ma belle robe, je dirais oui pour l'éternité à mon prince charmant. Il m'emmènera sur son cheval dans notre nouvelle demeure, loin de ma famille, loin de mes amis.

   Grâce à lui, j'aurais des enfants. Un fils, de préférence, en premier. Son père lui apprendra la noblesse. Si j'ai des filles, je leur apprendrais tous ce qu'on m'a appris et perpétrais la tradition, comme on me l'a enseigné.

   Puis il me trompera, comme le font une grande partie des princes charmants soumis à ces magnifiques mariages sans amour. Peut-être serais-je jalouse par fierté, mais certainement pas par amour. Peut-être que moi aussi je connaîtrais le sens de mot, singulier, qu'on appelle amour.

   Pour toujours, je resterais enfermée dans mon luxe et mon superflu. Dans le confort et l'oisiveté, comme le veut ma condition de femme de noble.

   Je devrais toujours sourire, ne pas trop parler, toujours prendre soin de moi, de mes coiffures extravagantes, de mes robes de soies et de mousselines, ne jamais râler, ne jamais contredire mon mari ou nos invités, ne jamais pleurer, ne jamais me plaindre, ne jamais soupirer. Toujours sourire, toujours avancée masquée.

   Un jour arrivera ou comme ma mère avant moi et la mère de ma mère, je finirais lasse de tout ça, lasse de n'avoir vécue toute ma vie que dans une cage dorée. Lasse de n'avoir connue que l'apparence et le paraître. Je commencerais à me faner, à me laisser dépérir en silence. Le jour viendra où je ne ressentirais que tristesse, comme toute Lady qui n'est pas ambitieuse, rongée par l'envie de pouvoir, l'orgueil et l'avidité.

   Viendra aussi sans doute le jour où j'aurais envie d'en finir. Je t'ai déjà dit que ma tante avait voulu avaler du poison trois fois ces deux dernières années ? Je ne sais pas si ma mère a déjà essayé, mais je suis sûre qu'elle y a déjà songé.

   – Tu sais, j'aimerais bien être à ta place de Lady. Tu ne manques de rien. Tu ne manqueras jamais de rien. L'amour et la sincérité, c'est bien beau quand tu galères à trouver de l'eau ou de quoi te nourrir.

   – Je sais. La dépression est sans doute une maladie de riche.

   – Pourquoi tu ne t'enfuies pas ? Ce n'est pourtant pas compliqué. Tu le fais tous les soirs pour venir en ville.

   – Je ne peux pas. Je suis une Lady.

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