Je te briserai.

sadnezz

" Je m'appelle Judas Gabryel Von Frayner, seigneur de Courceriers, et je vais te briser. Je ferai céder un à un, avec une patience méconnue tous les verrous de ta volonté. Ferai de chacun de tes jours l'aube que tu désirera dernière, forcerai ta résistance comme on force une charnière et obtiendrai de toi la plus immuable docilité. L'essence même de la fidélité. Je t'asservirai, te ferai ployer. Epouse sans vertu, serre ton rosaire. Toi qui a tenu, sache que je suis revenu. Ce à quoi tu tiens, je te le retirerai , d'une main de fer, je te briserai.

Je te briserai. "

L'écho sourd du galop semble atteindre bien avant les deux cavaliers le manoir en rase campagne. Voilà un jour que le seigneur a quitté le Vicomte aux portes du duché Alençonnais. Chacun retournant à leurs sacerdoces. Chacun ayant perdu leur passagère insouciance. Les traits de Judas ont tiré leur rideau d'impassibilité, à mesure que se rapproche la demeure où la jeune épouse et l'héritier sont arrivés quelques jours auparavant.

Il y eut une trêve. Des conventions tacites à ne pas faire couler de sang, avant. Le mépris silencieux, les absences pour deux, toutes ces précautions à ne pas retourner la barque et à s'accorder l'enfant. Avant. Le mariage de haine avait filé ses jours en dentelle de laine. Ajouré de sens. Et puis l'un avait su ce que l'autre avait tu. La vérité qui se perce laisse souvent s'étendre un magma destructeur que plus rien ne semble tarir... Sinon la mort. Lorsqu'il n'y a plus rien à incendier. Plus rien à dévorer.

La sénestre de cuir se tenait recroquevillée sur le crin dur et brun, soucieuse de ne pas desserrer ses mâchoires de phalanges de sa prise. L'écho se fit plus net, réponse aux pierres de l'édifice qui faisait face aux deux arrivants. Tandis que la monture ralentit sa course, tournoyant dans la cour, les yeux corbeaux du seigneur arpentèrent le lierre qui gagnait peu à peu la façade, puis les fenêtres où peut-être, le visage qu'il avait enlaidit quelques mois auparavant ferait son apparition. Erreur malheureuse... Mûri de ses nombreux moments de solitude, Judas avait compris que les poings n'atteindraient pas l'essentiel. Qu'il obtiendrai bien autrement. Le geste fut sec et sans hésitation, la tête du sanglier aux yeux hagards vint s'écraser contre la porte principale, tâchant d'une giclée sombre et sanglante les pierres grisâtres des murs. Avec un peu de chance, ce serait elle qui ouvrirait.

Les rênes furent tirées d'un geste nerveux, tandis que le cheval déviait sa course vers les abords du vivier. Le gant griffé d'une trainée carmine s'éleva vers le ciel, appel au second cavalier de suivre la même direction et de s'éloigner de ce tribut de chasse peu glorieux pour contourner vers l'ouest le bâtiment. Hugo était resté alerte, sans jamais élargir la distance qui le séparait de Judas... Et ce depuis la Bretagne. Ombre fidèle s'acquittant de toutes ses taches, profil apprécié des humeurs du satrape. Les écuries se présentèrent à eux, sombre et calme bâtiment dans lequel ils s'engouffrèrent et où mourût le claquement des sabots redoutés.

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