Je t'écris (6)

ernestin-frenelius

Chapitre 6

Le lendemain en début d’après midi j’avais reçu un mail qui me notifiais que tu m’invitais à rejoindre ton groupe d’ami sur faceBook. J’avais juste accepté, ne t’avais pas envoyé de message et ne m’étais pas intéressé à ta page, j’avais continué à vaquer à mes occupations. Le soir nous nous étions retrouvé à la terrasse de L’Atelier de Grand-père ou l’on sert des bières dégueulasses et pas chères. Christian, celui que tu avais laissé t’embrasser, était là ainsi que quelques autres amis. Nous discutions et buvions, je jouais les détendus, ne voulais surtout pas que l’on me sente pendu à tes lèvres, ni rivé a tes yeux ; je me réfrénais. Je me demandais où Christian et toi en étiez. Je savais que, des fois, tu avais déjà dormi chez lui parce qu’il était trop tard et que tu n’avais pas pu rentrer dormir chez Sylvain.

Nous commencions à être un peu saouls quand tu avais annoncé que tu quittais le bar pour aller vers celui ou tu travaillais. Mais pas pour le service, pour continuer à boire. Après avoir décadenassé ton vélo, tu étais venu faire la bise à tout le monde sauf à Christian. Puis tu étais retournée saisir ton vélo et avais commencé à t’éloigner en le poussant. C’est à ce moment que Christian avait réagit et, guilleret, il avait lâché : « Ah ben ! C’est bien ce que je pensais ! Elle m’a pas dit salut parce qu’elle veut que je l’accompagne. ». Si ce n’avait pas été toi, j’aurais trouvé Christian très drôle. Il s’était levé pour te suivre et je lui avais dit que je terminais ma bière et les rejoignais.

 Ces mots s’étaient formés tout seul de ma bouche. Reflexe émergeant des confins de mon cerveau reptilien. Et pourtant j’étais conscient que j’étais en train de m’enticher de toi et que tu risquais de m’en faire baver. Christian me refit bien remarquer que t’avais fait la bise à tout le monde sauf à lui, que c’était lui que t’attendais. Je lui avais simplement répété que j’allai vous rejoindre. Il avait acquiescé et t’avait suivie.

Les autres amis autour de la table étaient friands de ce genre d’épisodes . Pendant que je terminais ma bière dont je n’avais plus rien à foutre, tous me lorgnaient, rieurs, ils m’interrogeaient du regard. Mais je restais stoïque et jouais celui qui déguste sa bière comme d’habitude. Alors, sarcastique, Xavier m’avait demandé quelles étaient mes intentions ; comptais-je péter la gueule à Christian dans l’espoir d’ensuite pouvoir te baiser ? Je rétorquais que j’avais juste envie d’aller boire un verre dans un autre bar, pour changer, pourquoi pas avec Christian et toi. Et je précisais que bien sûr, leur compagnie, à eux, que j’allais quitté, m’étais agréable aussi mais, étant donné qu’ils ne comptaient pas s’éterniser, tandis que moi je comptais faire durer la soirée, ils ne pouvaient pas m’en vouloir de vous rejoindre toi et Christian. Bien sur, quand je leur disais ça, tous se gaussaient et je m’en foutais. Moi aussi je me marrais, et pourtant je savais que je n’allais pas continuer à rire pendant bien longtemps mais je ne voulais pas me laisser prématurément aller au dépit.

Je vous avais rejoints, sinon conquérant et sûr de moi, du moins m’astreignant à l’allant et fardé de confiance en moi et je m’installais avec vous pour d’autres bières. J’en payais à Christian qui n’avait plus un sous alors que moi non plus je n’en aurais bientôt plus. Je sentais que j’allais bientôt être très saoul et pire encore Christian allait l’être lui aussi. Toi je ne savais pas trop comment t’étais quand t’étais saoule.

Tout cela, m’emmerdait, je sentais bien que je m’embourbais dans une situation ridicule et mon bel entrain s’étiolait. Je ne savais plus de quoi discuter avec vous deux et très saoul et très bête, j’en avais profité, lorsque tu étais aux toilettes, pour dire à Christian que, les potes avant au bistrot, ils avaient dit qu’on était en concurrence pour la même fille.

Je lui avais dit ça juste dans l’intention de savoir ce qu’il en pensait. Mais Christian était loin d’être con et il m’avait expliqué que ce n’était bien sûr pas la bonne manière de voir les choses. Mais, je ne compris pas très bien la façon qu’il m’expliqua dont-il fallait les voir les choses. Et, quand tu revins, il t’expliqua la façon dont je voyais les choses. C'est-à-dire la façon dont j’avais dit à Christian que les potes ils avaient dit qu’ils la voyaient. Toi, je crois que tu compris très bien. Tu ne t’irritas, ni ne te renfrognas, pas plus que tu n’affichas la moindre marque d’embarras. Tu nous dis que nous étions entre amis, que nous passions une bonne soirée et que nous  allions continuer.

 Quand le bar enfin fermait vers quatre heures et qu’on avait liquidé tout ce qu’on avait pu, tu décidas qu’il fallait aller dans un autre bar, juste à coté, qui, lui, fermait à sept heures du matin. Pas celui ou j’étais tricard, un autre. Parce que celui où j’étais tricard on savait ce qu’il en était.

Nous étions fin saoul et n’avions presque plus un rond. La monnaie que nous sortîmes de nos poches ne suffisait pas à payer l’entrée pour nous trois, alors j’avais sorti ma carte de crédit. Puis nous avions pénétré dans une grande et haute salle carrelée comme des thermes romains. Le plafond décoré de frises, de guirlandes, de loupiottes et de stroboscopes était soutenu par des piliers plaqués de simili bois. L’orange sombre prédominait. Nous aurions pu nous croire dans la nef d’une basilique, réaménagée pour accueillir des rites dédiés à je ne sais quelle nouvelle religion kitsch. A part nous, il n’y avait aucun autre pratiquant. Seuls étaient présents les quelques employés nécessaires au bon déroulement du culte : videurs, réceptionnistes, barmans, éventuellement un DJ, mais bien caché alors.

 On avait suivi le rituel, On s’était fait renifler et jauger par le cerbère de l’entrée, fait délester de notre dîme à la caisse avant que la réceptionniste ne nous dirige vers le vestiaire que j’avais ignoré pour aller commander le bénédicité au bar. Généreux, je payais une première tournée. Christian m’assurait qu’il me rembourserait mais je savais qu’il ne le pourrait sans doute pas et je m’en foutais. J’étais pas dans la maison de dieu mais je me comportais comme son fils, bientôt je serais défait des tentations matériels ; je n’aurais plus un rond.

Je regrettais que tu aies réussis à m’amener dans ce temple de nuit dédié à une pseudo débauche de pacotille. Mais, maintenant que j’étais là, j’escomptais bien en profiter et puis il fallait que je boive le calice jusqu’à la lie sinon mon dépit n’en serait que plus amer.

Dans notre sanctuaire à poivrot, pas de musique liturgique, on se trémoussait sur d’insipide ode païenne à la gloire de je ne sais quelle fête barbare. Mais j’en étais pas moins dans un grand état de ferveur et, presque en transe, je commençais à me dandiner sous la nef de cette boite  et je délirais comme un derviche. Tu dansais un peu n’importe comment mais sans doute pas pire que moi, de toute façon on s’en foutait, il n’y avait personne à part le personnel qui n’était pas sympa, et même s’il y avait eu d’autre clients on s’en serait aussi foutu tellement on était pété.

 Je me démenais en face de toi, tournais sur moi-même pour te perdre du regard et te retrouver. J’avais l’impression que tu jouais avec moi. J’avais envie de te prendre dans mes bras, mais tu t’en étais allée vers Christian et, comme tu avais dansé avec moi, tu dansais avec lui. Sans doute par souci d’équité. Je vous regardais, j’espérais que c’était avec moi que tu préférais danser et tel un animal en rut qui d’instinct s’élance pour exécuter sa danse nuptiale, je fondais sur toi et cherchais à happer ton attention en gesticulant et à essayer de t’envouter par les contorsions et les spasmes de mon corps. 

Et tu étais revenue danser avec moi. Je ne sais pas si Christian délaissé ressentait ce que j’avais ressenti quelques instants avant ; la situation lui paraissait-elle aussi pitoyable qu’à moi ? Je réfléchissais, cherchait trop à comprendre pourquoi j’étais là et dansais comme cela, et ça ne servait à rien. Je cherchais dans tes yeux, les sondais après chacune de nos voltes. Et toi qu’aurais tu pu y percevoir dans mes yeux,  caves comme ils l’étaient. 

Tu décidas que nous devions faire une pause pour nous hydrater au bar. Il était cinq heures bien passée et toujours aucun autre client. Christian alla aux toilettes, je bu deux lampées pour la forme et te proposai de retourner danser. C’était un peu vache de profiter que Christian ait besoin de se soulager, mais j’étais sûr qu’il n’aurait eu aucun cas de conscience à en faire autant s’il en avait eu la patience.

J’en profitais pour danser plus près de toi, jusqu’à ce que l’on se touche et qu’enfin je te tienne dans mes bras. Mais tu ne dansais plus, tu titubais, t’effondrais et il avait fallut que je te retienne, que je te prenne à bras le corps pour que tu ne t’affales pas. Christian revint des toilettes et me demanda ce que je branlais. Avec la tête et le ton du gars qui soupçonne qu’on a essayé de le doubler, il m’avait intimé de te lâcher. Tu t’étais mise à te débattre dans mes bras, alors à contrecœur je t’avais relâché, et tu avais recommencé à danser comme un cabri autour de Christian et moi. J’aurais aimé te reprendre dans mes bras pour nous guider dans une danse plus lente, plus sereine et moins chaotique.

Christian m’avait alors expliqué qu’il fallait que je te foute la paix que contrairement à ce que je pensais t’étais en pleine forme, que tu t’amusais bien et qu’il fallait que je te laisse t’amuser. Je m’en foutais de ce qu’il disait. Tu nous tournais autour et les regards que tu me jetais en te déhanchant n’importe comment, je ne savais s’ils étaient de dédain, de défi ou bien coquins. Les rictus de ta bouche et les tressautements de ton corps commençaient à me faire horreur et à ce moment j’étais persuadé que je t’aimais.

Je m’étais remis à danser face à toi, essayais de capter ton attention, de t’attirer, que ton corps vienne se coller contre le mien et que je nous imprime un rythme plus paisible. J’y étais presque, nos mains se touchaient, nos hanches se frottaient, nos visages s’approchaient, nos lèves allaient s’embrasser mais, au dernier moment, avec l’un de tes sourires gredins et ton regard canaille, tu m’avais repoussé. Pourquoi ? Était-ce à cause de Christian qui était à coté et nous regardait ? Je ne comprenais plus bien ce qu’il me disait mais il me reprochait quelque chose et je m’en foutais.

Ça m’inquiétait que tu continues à boire. J’avais envie finir cul sec tout ces putains de verres que j’avais payé, j’aurais même été prêt à les valdinguer pour que tu ne boives pas d’avantage. Mais t’y tenais à ton verre et tu décidais de te remettre à fumer et suivais Christian vers le fumoir et je te suivais. En moi, s’était resserrée une tenaille qui m’étreignait trop fort, je n’avais aucune emprise sur son étreinte, j’avais envie de t’étreindre, de te serrer dans mes bras, de m’occuper de toi, de t’avoir corps et âme intriqué à moi. Mais ton âme était aussi volatile que les vapeurs d’alcool qui faisaient chavirer et tanguer ton corps imbibé.

Entre deux bouffées de nos cigarettes, sans savoir si tu voulais, j’avais mis mes lèvres sur les tiennes et je ne sais plus trop comment tu avais réagi, mais je t’avais un peu embrassé. J’étais sans doute pitoyable. Je te trouvais toi-même un peu pitoyable. Je t’aimais et te balbutiais que tu me plaisais. Je me donnais en spectacle devant Christian et quelques clients qui venaient d’arriver. Parmi eux, il y avait certains de tes collègues du précédent bistrot. Christian me ressassait que je foutais n’importe quoi et m’exhortais à te foutre la paix et je n’en avais rien à foutre.

Nous avions quitté le fumoir glauque. Nous avions continué à boire et j’avais continué à te presser de mes avances, sachant que j’étais ridicule et que sans doute tu ne me percevais ni ne me comprenais plus, quand, en dansant autour de toi, déconfit et éploré, je te susurrais que tu me plaisais. Tu tentais bien de me consoler un peu. Mais moi, ce que je voulais, c’était que tu désires que je t’enlace et que je t’embrasse, et je me dépitais parce que je savais que tu me consolais parce que tu ne le désirais pas.

Lorsqu’au petit jour nous avons quitté l’obscène mausolée de cette nuit décrépite. J’étais chiant et pitoyable. J’avais envie d’être avec toi, mais tu allais dormir chez Christian. Tu n’avais pas de chez toi. Sylvain, qui t’hébergeait, habitait loin et moi j’allais rentrer chez ma mère qui habitait tout aussi loin. J’étais décalaminé et obnubilé par ton image éthérée et déglinguée. Et plus encore, j’étais dépité par mes miasmes de honte, mes relents d’addiction sentimentale. Et je m’endormais dans de lancinants tourments que tu berçais mais n’apaisaient pas.

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