Jean-René vs Kevin
petisaintleu
J'arrivai le lundi matin au bureau d'humeur assassine. Le dimanche, je m'étais fait massacrer par ma fille de 9 ans au Uno. Moi qui me targue d'avoir toujours réponse à tout, d'être dans l'excellence managériale et opérationnelle, c'était comme une petite mort. Je lui coupai tout accès à internet ; ça la fera réfléchir sur le fait qu'on ne peut pas impunément s'attaquer à son papa.
Bref, inutile de préciser que j'avais en tête d'écharper mes sous-fifres, ces petits cons – les affubler de ce sobriquet n'est que leur rendre la monnaie de leur pièce. Je sais pertinemment que je suis habillé de la même épithète précédé de l'adjectif vieux –, pour reprendre du poil de la bête. Arrivé à mon QG de campagne, la machine à café, je m'apprêtais à ruminer par quel moyen j'allais leur balancer de derrière les fagots une vacherie bien vicieuse.
Il arriva…
S'il y a en un que je ne peux pas blairer, c'est bien lui. Avec son sourire d'imbécile heureux, à s'excuser et à se flageller pour le moindre pet de travers, j'ai à chaque fois l'envie de lui coller un pain pour lui faire rentrer dans le crâne que le monde des Barbapapas n'est qu'une vaste fumisterie. Comme d'habitude, Ginette avait vendu la mèche sur mon état d'esprit au risque de mettre le feu aux poudres. Elle n'est pas télépathe. Il lui avait suffi que je l'envoyasse balader quand je la croisai et saisir qu'il faudrait raser les murs pour le restant de la semaine.
Après avoir pris son Earl Grey – assorti à son Barbour et à ses Chrurch's –, il entama son petit discours bien rodé en franglish : « What the fuck, man ? Keep cool ! Viens me voir ASAP dans mon desk que l'on fasse un feedback. »
Je serrai les poings et lui promis de venir à 11 heures. Je n'oubliais pas, qu'avant d'être le chief hapiness manager, il était le neveu du big boss. Je n'avais d'autre choix que de faire profil bas. D'autant plus que le mois précédent, il m'avait sauvé la mise quand, au pot de départ de Charles, Julie, la stagiaire du service marketing – une arrogante qui se croyait déjà arrivée avec le bachelor en e-commerce de sa sous-école de province –, avait menacé de me traîner en justice pour une innocente main aux fesses. Sans doute illuminé par le rail de coke qu'il venait de s'envoyer, il parvint à la calmer en affirmant qu'il ne s'agissait que d'un jeu de rôle qu'il m'avait proposé d'interpréter pour dénoncer les pratiques interdites au sein de l'entreprise. J'en fus quitte à terminer la soirée au cocktail sans alcool pour éviter que le pastis ne rattrapât au galop mes instincts kinesthésiques.
Parvenu à son bureau – un musée à la gloire de l'adulescence et du wokisme –, j'eu droit à tous les poncifs sur le management bienveillant. J'avoue qu'il fut sympa. Il me laissa gagner à deux parties de baby-foot pour clore le dossier.
Mon calvaire n'était toutefois pas terminé. Il m'invita à déjeuner dans son fast-food préféré – une enseigne qui ne proposait que du végan à base de soja, de boulgour ou de quinoa qui avaient fait trois fois le tour de la planète avant d'atterrir dans nos assiettes en carton recyclé – avant de me convier l'après-midi à un brainstorming.
L'enfer est pavé de bonnes intentions. J'ai tout de suite compris de ce qu'il en retournait, quand il annonça la couleur : « Comment accompagner les seniors vers la transition ? ».
J'ai été reçu le lendemain par les RH. Pour faire passer la pilule en douceur, ils ont vanté mon sens de la pédagogie et la joie de l'entreprenariat. Bons princes, ils m'ont proposé d'être mes premiers clients dans le domaine de la formation consacrée à la bienveillance au travail. Je leur proposai de travailler sur ce sujet de manière ludique en me basant sur Uno, le jeu de dadas et Docteur Maboul.
En quittant l'entreprise, je vis qu'il faisait la tournée des services, déguisé en clown. J'ai ri jaune.
Ton état d'esprit est meilleur. Enfin, tu es comme tout le monde. Une vraie boule de pue. :o))
· Il y a plus de 2 ans ·Hervé Lénervé
C'est un réel plaisir de te lire ! Notre monde est fou et condamné et tout le monde se pavane.
· Il y a plus de 2 ans ·daniel-m
ce texte ne me parait pas tout à fait correspondre à ton "personnage / moi profond", il me semble, non ? Mais je ne souhaite pas t'agresser !
· Il y a plus de 2 ans ·Gabriel Meunier
Gabriel, il ne faut pas confondre l'auteur et l'oeuvre.
· Il y a plus de 2 ans ·petisaintleu
ah...! Mais quelle facilité pour user d'un ton un peu triste, voir carrément amère-égocentrique...pas évident, cela !
· Il y a plus de 2 ans ·Conclusion : les meilleurs auteurs sont ceux qui pondent des oeuvres à 100 km de leur "moi-profond', et les plus belles oeuvres sont celles issues d'illustres inconnus !
Gabriel Meunier