Jeu de la marelle (concours Flammarion)

margotte

Et si nous nous penchions un instant sur le début de leur amour ? Oui vous savez bien... lui, si dur, si froid...elle, si douce, si friable...

Leur histoire commence un jour de printemps. Quelle belle période pour rencontrer l'amour, n'est ce pas ? c'est bien connu...à cette période nos émotions sont à leur comble, nos envies grandissent...et oui, il n'y a pas que les fleurs qui se plaisent à cette période !

Lui, était là à sa place habituelle, en même temps il ne pouvait pas aller bien loin le pauvre...on l'avait immobilisé ici, dans cette école "pour le bien des enfants" soit disant... Mais à vrai dire, il s'ennuyait à mourir ici...et les enfants se moquaient bien de lui, et même parfois le maudissaient ! Lui si costaud, si sérieux... il en avait parfois mal à son petit coeur, mais il gardait tout à l'intérieur, solide comme un roc ! Il restait donc là, à son poste, empêchant tout envahissement extérieur, et inspirant à la bienséance, à l'ordre.

Elle, elle se tenait au chaud, et aimait s'attacher à celui ou celle qui la touchait...elle s'attachait vite oui, et pourtant nombre de personnes cherchaient à l'éloigner, s'en débarrasser...et risquaient de la briser tellement qu'elle était émotive, douce et brisable...mais pour son travail elle devait être forte, car elle avait la responsabilité de passer les informations. Toutes les informations, quelles quelles soient. Pas d'exception, pas de tri, pas d'oubli. Si vous la rencontriez, elle vous laisserait forcément une trace de cette rencontre, un peu de poussière de souvenirs...

Il n'avait pas de nom précis, il portait un ou deux noms banals que portent tous les membres de sa famille et que tout le monde utilise pour parler de lui. Pas de signe particulier, ni de distinction possible entre lui ou tout autre de sa lignée.

Elle portait un nom "unisyllabique" et digne de la descendance royale, puisqu'associée un à un joli nom de couleur. Ceci marquait son signe de distinction, sa particularité, son talent aussi. Elle en était fière.

Depuis sa naissance, il n'avait pas voyagé. Elle si, elle avait parcouru des grandes villes avant de venir finir sa vie ici, dans ce petit village. C'était ainsi pour toute sa noble famille, de naître en ville et de parcourir diverses autres villes. Il commençait à se faire vieux. Elle était jeune et pleine d'énergie.

Il se sont rencontrés dans cette cour d'école, un matin où la rosée perlait encore sur les feuillages des haies. Il avait passé la nuit dehors comme à son habitude, elle avait dormi dedans bien installée parmi sa famille. Lorsqu'un enfant la fit sortir ce matin là, elle frissonna...de froid, de peur aussi. Lui ne l'a remarqua même pas au départ. Puis lorsqu'elle s'approcha de lui pour lui transmettre un peu de son savoir, un peu de son talent...il fut étonné, surpris, agréablement surpris...elle était si jolie et si douce...il eut même un peu honte d'être si dur, si rugueux, si vieux...

Son coeur de béton se mit à battre et à s'atendrir en voyant la belle. Elle, elle le trouva plutôt fort et sécurisant. Elle se sentait un peu gênée d'être si peu de chose, d'être si fragile... Pourquoi ressentait-elle ça ? jamais cela ne lui était arrivée d'être si peu fière d'elle même, de se remettre en question...elle sentait en elle monter une douce chaleur qui la faisait vibrer de l'intérieur...pourtant elle ne tremblait plus. Elle ne tremblait pas. Elle vivait ! Pour la première fois, elle se sentait plus vivante que jamais...pour la première fois, elle était prête à délaisser son travail, à renier sa famille...pour rester avec lui.

Elle voulut mieux le connaître, et lorsqu'elle s'incrusta en lui, il ne fuit pas, il resta lui-même. Il lui promit des choses si grandes et si belles que, tout en continuant son labeur, elle lui promit de ne jamais le quitter, de ne jamais aimer un autre que lui...

Ils venaient à peine de se connaître que déjà ils se faisaient les plus belles promesses, que déjà elle s'accrocha à lui et que lui se mélangea à elle...

Lui se faisait appeler "goudron" ou "bitume", elle se nommait "craie rouge". Dans cette cour de récréation où lui fut installé il y a de cela quelques années, elle fut sorti de la classe et quitta les autres craies du tableau noir pour la  première fois. Un enfant l'avait pris pour dessiner une marelle au sol. Leur rencontre se fit au moment où elle traça son premier trait rouge sur lui, sur ce vieux goudron, si seul et si dur. Elle s'usa et finit sa vie à la fin de la marelle, au ciel, mais ses particules de poussière étaient ancrées en lui...pour toujours...jusqu'à la prochaine pluie tout au moins.

L'amour c'est une rencontre inattendue, un alliage de deux êtres pourtant si différents. L'amour c'est simple comme tracer une marelle sur un vieux goudron.

FIN

Margotte

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