Jeux de miroir (3)

matt-anasazi

Glissée dans le fantastique

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« Le rire rapproche-t-il les hommes ? » Sarah relut une dernière fois le sujet de son bac blanc de philo. Puis, le brouillon : plan détaillé, introduction et conclusion. Enfin la copie. Pas de fautes d’orthographe. Réflexion plutôt fluide. Idées développées, exemples adaptés, citations d’auteurs réparties à bon escient. Elle passait en revue son devoir en suivant les conseils de sa professeure particulière de philo. Satisfaite ! « Carpe diem ! », sourit-elle en repensant à son film fétiche Le cercle des poètes disparus. Elle tendit à l’examinateur sa copie et sortit. Sa montre lui indiquait qu’elle avait passé trois heures et demie à composer.

Pendant sa composition, elle n’avait cessé de se demander ce que Michael avait bien pu répondre à cette question. Malgré les longs mois depuis leur dernière dispute, elle continuait à penser à lui tendrement. Elle traversa la cour pour se rendre dans son coin favori. Le banc donnant le dos au terrain de basket, celui où Julien lui avait parlé pour la première fois. Il avait promis de l’attendre ou de la retrouver après l’épreuve.

Plus loin, elle vit l’allure négligée de Mina « la teigne ». Contrairement à son habitude, elle semblait préoccupée, vu les cercles imprimés à la poussière à force de tours sur elle-même. Une ombre se leva et s’approcha d’elle. Elle eut un pas de recul avant d’être projetée violemment vers l’arrière. Son corps s’affala sur le sol. Malgré le peu de sympathie qu’elle attirait, quelques âmes secourables dont Sarah se précipitèrent. Elles restèrent interdites.

Mina gisait face contre terre, la joue droite baignée de sang. Quand elle se releva, l’assistance vit horrifiée que son collier gothique s’était planté dans sa pommette, la traversant de part en part. D’où la flaque rouge. Passé le choc, Mina resta hébétée, puis toute couleur parut déserter son visage ; la douleur, sans doute ! Ses membres tremblaient, ses lèvres palpitaient, sa bouche s’ouvrait et se fermait sans émettre le moindre son.

L’infirmière et le médecin scolaire furent appelés de toute urgence et prodiguèrent les premiers soins. Sans que Mina ne paraisse être consciente de la situation. Elle se laissait faire comme si on s’occupait d’un autre corps que le sien. C’est quand on la mit sur le brancard qu’elle hurla, les yeux révulsés de terreur : « Il a fait pareil à Jérémy ! C’est lui ! C’est lui ! » Les portes de l’ambulance se refermèrent sur ses cris hallucinés.

Sarah passa de longues minutes à se remettre de la scène. Les images furent plus faciles à oublier que la panique insondable dévoilées par ses cris. N’y tenant plus, elle aborda un camarade de classe. Il l’aimait bien, peut-être plus selon Julien :

« Qu’est-ce qui a bien pu arriver à Jérémy pour qu’elle soit paniquée à ce point ?

- Tu ne sais pas, il s’est fait renverser par un camion. Il a les deux jambes dans le plâtre ; les médecins se demandent même s’il pourra remarcher correctement.

- Mince, comment c’est arrivé ?

- Il faisait du skate en pleine rue quand un camion est arrivé derrière lui. Il n’a rien entendu, il avait son MP3 aux oreilles. Le pire, c’est qu’il a failli s’en sortir et d’un coup, son skate a buté sur quelque chose, il a fait un vol plané et il est retombé devant le camion. »

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