Jeux de miroir (4)
matt-anasazi
Un doute avait germé dans l’esprit de Sarah. Un doute, une crainte, une voix… Des sons indistincts lui emplissaient la tête, tournoyaient sans s’arrêter, ne la lâchaient plus. Epuisée à force de s’écraser le crane dans les mains, Sarah sortit. Il fallait qu’elle en ait le cœur net.
Elle se précipita chez Michael. La mère de ce dernier l’invita aussitôt à entrer. À travers le flot de paroles, elle discerna que Michael ne recevait aucune visite. Sa mère paraissait impatiente que Sarah lui parle. Avant de franchir la porte du jeune homme, la jeune fille remarqua qu’elle s’éclipsa avec empressement.
La chambre était plongée dans le noir, à l’exception de quelques lampes rougeoyantes jetant des ombres dansantes. Le désordre habituel de la chambre de Michael laissait place à un cercle vide au centre de la pièce. Sur le sol apparaissaient des symboles tracés sur la moquette, avec des poudres et un liquide poisseux. Sarah sentit ses semelles adhérer sur le sol à cause des… hiéroglyphes. Les posters et affiches de films qui l’avaient toujours amusée avaient disparu ; à leur place trônaient des gravures tribales et des masques d’origine africaine, semble-t-il. « La quatrième dimension », aurait dit l’ancien Michael.
Une forme remua près du bureau : Michael, recroquevillé, se redressa. Il était vêtu seulement d’un sous-vêtement mais plus dérangeant pour Sarah, furent les marques, scarifications et tatouages qu’il arborait sur tout le corps. Il semblait surgi du film Sa-majesté-des-mouches. Son visage était ravagé par une expression hargneuse que Sarah ne lui avait jamais connue auparavant.
« Salut, l’ange ! Tu descends sur terre ?
- Michael, qu’est-ce qui t’arrive ?
- Rien.
- Arrête tes conneries. Tu as vu ta chambre ? Je ne t’ai plus vu depuis des mois, tu ne me parles plus, tu ne réponds plus au portable. Tu cherches quoi au juste ? » Sarah sentit que la réponse à la question n’allait pas lui plaire mais il fallait la poser. « Tu me fuis depuis que j’ai un petit ami, c’est ça ? » Sa voix ne dépassa pas le murmure. Elle espérait faire sortir par sa voix légère la vérité de la poitrine de celui qu’elle considérait toujours comme son meilleur ami. Un sourire narquois releva le coin gauche de la bouche de Mikaël.
« Chouette, tu t’intéresse à ce que je ressens. Cool ! Faut fêter ça. Tournée de sang pour tout le monde !
- Rien à tirer de toi ! » Elle serra les dents. « C’est quoi, ce bordel, dans ta chambre ?
- Tu apprécies la déco ?
- Réponds-moi !
- Un intérêt nouveau pour les cultes africains. Je me passionne pour Eshu. Un trickster, un mauvais géniequi déséquilibre le monde et le transforme. Sa spécialité : les plaisanteries qui éclaboussent le monde gentillounet. Il a réussi à séparer un village en deux en révélant leurs dissensions intérieures.
- Depuis quand tu… » Un rire sardonique l’interrompit. La jeune fille frissonna. « Tu peux remercier Jérémy et Mina. Ils m’ont ouvert les yeux.
- Quoi ? Leur accident, c’est toi ?
- Non, pas moi, Eshu. J’ai mis l’impulsion et… » Une chiquenaude. Un sourire torve. Sarah se retrouva face à un monstre primitif à l’humour ravageur. Michael n’était plus, seul existait le fantôme de son meilleur ami, rongé par la haine et l’envie de faire payer au monde le mépris qui l’avait toujours entouré. Sarah recula, les yeux agrandis, la bouche ouverte dans un cri muet. Michael attrapa un masque ovoïde, une tête aux yeux globuleux et à la bouche démesurément ouverte. « Au fait, Eshu pouvait disparaître pour ses méfaits. À mon tour de disparaître, et bonjour la pagaille ! C’est la blague ultime. » Le regard égrillard, l’ombre rouge sourit. « À deux, ça marche aussi… Et sans remords ; tu ne trompes pas ton copain avec un fantôme. » Les derniers bruits que Sarah entendit dans sa fuite furent le rire sans joie de Michael et une mélopée inconnue.
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Malgré la chaleur douce de Juin, Sarah avait la chair de poule. Elle tentait de se vider la tête avant son oral. Elle aurait apprécié une mauvaise blague de Michael. Elle sentit une présence derrière elle, elle se retourna. « Qu’est-ce qui me prend ? Il n’est pas là… » Son regard triste balaya l’espace vide. L’air tiède lui renvoya des soupirs, des cris muets et des bruits de larmes qu’elle n’entendit pas.
ah lala j'ai adore, c'est vraiment bien ecrit, on plonge dans ton histoire et pas tres envie que cela se finisse aussi vite. bravo
· Il y a presque 11 ans ·christinej
Merci beaucoup, christine-san ! Il faudrait que j'apprenne à écrire des histoires plus longues visiblement !
· Il y a presque 11 ans ·matt-anasazi
ça ressemble à du vaudou??? quelle tristesse de finir ainsi!
· Il y a presque 11 ans ·yoda
Oui, Yoda. Eshu est une divinité Yoruba qui a inspiré les rites vaudou américains. Merci de tes commentaires et de ton assiduité. En effet, Michael a eu une triste fin pour avoir laissé la rancœur le remplir !
· Il y a presque 11 ans ·matt-anasazi