José Azerty

Séverine Capeille

Il n'avait jamais essayé de rencontrer les autres. Non. Les autres n'étaient qu'un moyen de se rapprocher de lui, de définir les contours de son « moi », de chercher une place dans une arborescence sociale structurée. Il s'appelait José. Un prénom qui avait cartonné dans les années soixante mais qui le plaçait désormais au rang des « Jojo » qu'on saluait avec une tape dans le dos. Il n'était même pas Espagnol. Et quand il se tournait vers l'origine étymologique de « yôsep », mot hébreu signifiant « Dieu ajoute », il n'était pas très avancé. Dieu ajoutait quoi ? S'il se référait à l'ancien français « Ajoster », le terme voulait dire « réunir, mettre ensemble ». Mais alors, réunir avec qui ? Il avait consulté tous les sites qui offraient des descriptions de personnalité en fonction du prénom. José. Sensible, réfléchi et réservé. D'accord. Sentiment d'infériorité et d'insécurité. Pas faux. José est généralement racé. Ah bon ? Sa tête oscillant entre le miroir et l'ordinateur, il n'avait pas trouvé que son nez était « droit et modérément long », ni ses yeux « légèrement bridés et allongés ». Quant à « ses belles dents régulières et d'une blancheur éclatante »… Ça l'avait fait rigoler. Deux secondes. Car son rire de fumeur invétéré s'était ensuite heurté à une injonction qu'il n'était pas capable de relever : « Testez la compatibilité de vos prénoms pour savoir si votre relation amoureuse a des chances d'aboutir ». La tuile. Il n'avait rien à inscrire dans la case jouxtant la sienne. En allant chercher une bière dans la cuisine – ce qu'il faisait toujours quand il avait besoin de réfléchir – José avait mesuré l'ampleur de sa solitude, aussi vaste qu'un frigo vide. Il était retourné s'assoir et avait demandé à son moteur de recherche préféré de trouver des sites de rencontres par affinités. Il avait suivi le lien, www.parship.fr, comme on suit une inconnue dans une rue fréquentée. Il avait mis du temps pour renseigner son profil, répondre à toutes les questions et tous les tests de personnalité. Il ne voulait pas se planter. Il avait longuement hésité entre deux images, parce qu'aucune ne lui plaisait, et que c'était important de savoir si, du rond noir dans le carré blanc ou du carré blanc dans le rond noir, il éprouvait une quelconque émotion. Ça pouvait déterminer son avenir. Il en avait conscience. Il aurait bien voulu boire une bière… Mais le frigo était vide comme la case qu'il espérait remplir. Il avait fini par cliquer sur l'image de droite en espérant que quelqu'un en avait fait autant. Le niveau de compatibilité devrait absolument frôler les 100%. Et si tout se passait comme il le souhaitait, elle s'appellerait Josée.

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