Jour 4

annamuller

Quatrième jour, j'ai dû regarder sur internet au combientième jour du confinement nous étions. C'est un bon signe de ne pas compter. Ce matin grand soleil, rue agitée. La fenêtre ouverte à une odeur et un goût de soleil, il y a deux jours j'ai aussi senti l'odeur du coussin qui était resté au soleil toute la journée. Ça me rappelle l'été, les grandes vacances quand on ne sortait pas et que je faisais mes siestes dehors sur les chaises longues. 


J'ai l'impression d'avoir été entraînée à m'ennuyer toute mon enfance. C'est mon heure de gloire maintenant, j'ai le sentiment d'une revanche, je sais rester des heures sur une chaise, je sais garder comme des trésors des toutes petites activités. 


Nicolas veut chercher un jeu à la cave, je lui ai dit d'attendre, d'attendre de se lasser de tout ce qu'il y a à la maison. Attendre le dernier moment, ne pas céder à l'envie, à la curiosité mais céder au dernier moment, juste avant de craquer. 


Quand j'étais petite j'attendais des heures avant de jouer à la barbie, j'attendais des heures le repas de midi, seul moment social de la journée. Le soir la dame du cheval et du chien venait dans la rue et je retrouvait Joana. J'attendais longtemps le bruit des sabots. Le lundi j'attendais le vendredi. 


Je répète à Nicolas depuis le premier jour du confinement « je suis sage, je m'occupe, je ne te dérange pas ». Je suis devenue pendant ces mots la petite fille que mes parents aurait voulu que je soit il y a quinze ans.


Je ne sais pas ce que je fais la journée, les gens me demandent, je ne sais pas répondre tout comme je suis incapable de raconter ce que je faisais pendant mon enfance. 


J'invente beaucoup de choses, pas des animaux ou des amis imaginaires. J'aurais bien aimé. Je réfléchis lentement, ce n'est pas fatiguant, c'est comme un petit sommeil très éveillé, mon corps reste très tranquille, on s'aperçoit de rien. Derrière mes yeux, c'est comme des rubans de pensée, ils sont léger et tournicotent. C'est comme le vent très doux de l'automne quand il soulève lentement des feuilles mortes. Des petites danses. 

Quelques fois je trouve une nouvelle idée, mais c'est très rare, la plupart du temps cette petite danse ne fait qu'être là, derrière mes yeux. 


Il est 9h30, je suis heureuse à la fenêtre, j'entends les oiseaux, des gens font la file devant le Monoprix, il sont neuf et j'entend Nicolas qui tape sur son ordinateur et qui quelques fois chantonne des mélodies. Il y en a qui ont peur comme moi, ils remontent leur écharpe jusqu'au nez. C'est humide à l'intérieur comme quand j'étais faire les courses lundi matin, mon écharpe était pleine de brume quand je suis revenue à la maison. 


Je surveille ma fièvre comme les spéculateurs surveillent les cours de la bourse. 36,9, 37,2 chaque chiffre me rassure. Je ne connaissais pas si bien la température de mon corps. 


Je refuse de compter les jours de confinement. Chaque matin est un jour 1, ça ça n'a pas changé. 

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