Journal intime d'une Aliénée

odess



Lundi 15 Février 2000 et quelques printemps...


J'avoue.

Toutes les nuits je crève d'envie de faire l'amour avec un sublime apollon. Et tous les matins, je me tape une crève d'enfer. Il paraît que j'hurle tellement de désir que la fenêtre s'en souvient. Elle se retrouve sur le carreau, battants  entrouverts.

Un soir, submergée de solitude, je me suis vengée sur mon graillou. J'ai englouti un cassoulet très copieux. Ce qui ne m'a pas empêchée de plonger dans mon rêve érotique orchestré par une pétarade rythmée de mes cris haletants. Je me souviens des échos bruyants et surtout du bouquet vaginal dans un réveil brutal, les badigoinces complètement desséchées. Je me demande si la carrée n'a pas tremblé avec tous ces tirs looping.

 Résultat : rhume carabiné. L'humidité et le zef marron ne font pas bon ménage. Encore une nuit seule. J'ai passé toute la journée à éternuer. Je n'ai même pas été capable d'avoir des éternuements comme tout le monde. J'ai poussé des atcheum. Impossible de cracher un atchoum correct. Je vous déconseille de manger les saucisses d'un cassoulet. Contentez vous du reste.

 Si seulement je pouvais me transformer en homme ! Je connaîtrais la joie de me ciseler les joyaux au réveil ! Marre de trouver ma couvrante à terre, le corps réfrigéré, les flageolets tremblants et la dalle au derche devant cette foutue fenêtre imbitable qui n'a rien à foutre que je sois enchristée.

Moi en gadjo ? Jamais. C'est la futalité. 

Je distingue un rictus sur votre ganache. Et alors ça ne vous arrive jamais de rêver de baisers ?

 Va falloir que je trouve quelqu'un qui puisse venir limer ma fenêtre. Elle gondole au moindre sursaut. Seul un mec équipé d'un bon matos peut m'aider. Je le laisserai même taquiner la boutanche. J'aurai enfin une compagnie qui m'offrira son tire jus.

 Je sais, mon psychiatre m'a dit que j'étais xylophène. Je lui réponds que c'est une couverture. Que je me protège des insectes humains mais il me désapprouve. 

Le xylophobe type ce toubib ! 


Séance chez mon psychiatre.

 Il ne cause pratiquement pas. Heureusement que je suis là pour meubler le silence. Et pendant que je débite mon plein de sens, je l'observe secrètement. Il mordille nerveusement une souffrante à rendre une langue de bois xyloglotte.

Le type est atteint de xyloglossie et il a le culot de me diagnostiquer xylophène ! C'est moi l'aliénée ?  Bref ! Je ne préfère pas user de rébellion sinon ils vont me passer la kamikazolle de force et ça je ne veux pas depuis que ma sœur m'a dit qu'elle y a eu droit. Ils en ont profité pour abuser d'elle. Je sais que je suis un laideron, qu'il paraît que j'ai déjà pété un câble, mais de là à me faire sauter sous kamikazolle, hors de question ! 

C'est de famille chez nous l'aliénation. C'est héréditaire, ça se transmet de père en fou. Je ne saurai jamais s'il me manque des neurones ou si j'en ai trop. Et ce psy il en a trop ou pas assez ? En tout cas l'un de nous deux est fou. Mais lequel ? Il faudra bien qu'on en discute sérieusement un jour.

Etre fou, ça ne veut rien dire. Ils disent que j'ai des troubles menteurs ! Mais c'est absolument faux. Que j'ai des idées délirantes. Mais qui n'a jamais eu une idée lumineuse jaillissant d'un état délirant ? 

J'ai entendu dire de moi que j'avais un grain. Un seul ? Je n'ai qu'un seul grain de folie ? Mais dans ce cas tout le monde est comme moi. Il a bien fallu une graine pour que le cerveau se développe ! Pfff… Mon psy il a fait des études et il ne le sait même pas !  Un réel fou ! Oui. Parce qu'il existe des faux fous. Moi par exemple. Je feins d'être aliénée. Je me suis inventée une autre vie qui me sert de couverture. Je me protège. Mon psy ne doit surtout pas le savoir, il pourrait devenir fou furieux.

Un conseil : ne jamais contrarier son psy sinon il agit comme un ours bipolaire de Catatonie. Un super pays qu'il faudra que je visite un jour. Le seul pays qui ne compte aucun fou, et pour cause, il n'y a que des ours bien léchés.

Revenons à mes neurones. Mon psy, pendant que je blablate,  aime se légumifier sur son balancier. Il me conseille de mesurer mon langage. Je veux bien mais on ne me donne aucune règle. Je fais comment pour prendre les bonnes mesures ? Il se contente de me dire que je suis atteinte d'une folie à géométrie variable. 

Je ne dis jamais de gros mot sauf « Putain ! » quand je déflore mon papier cul au moment cruchiant ! Je n'ose même pas lui dire. Il me rétorquerait que je n'ai pas le compas dans l'œil, que c'est la conséquence de mon mal. 

Ma mère avait un métier noble, elle était célèbre. Championne de la marche de la honte. Par contre, je ne pourrai pas dire dans quelle catégorie. Mon psy pourrait trouver facilement dans ses bouquins, je sais qu'elle exerçait le plus vieux métier du monde. Elle me ramenait toujours des sucettes. J'adorais ça. Par contre je n'ai jamais su pourquoi elle refusait catégoriquement que je lui en offre une.

De colère, elle hurlait  « Je déteste les sucettes ! » 

Comment peut-on haïr à ce point le goût sucré ? J'ai souvent pensé que c'était peut-être la cause de mon mal être. J'ai dû salement manquer de sucre. Héréditaire peut-être. Il aurait pourtant fallu un seul grain de sucre, mais ma mère n'aimait que le salé.

 (Je me demande si j'ai bien pensé à refermer ma fenêtre ...)

Mon psy est unique. Depuis qu'il me fréquente, je lui ai appris un tas de trucs. Je préfère que nos rencontres se déroulent chez lui. Je suis en colocation avec des gens bizarres, je me sentirais mal à l'aise pour causer. Sa vie doit être horriblement monotone.  Et à écouter celle des autres le rend aigri, c'est flagrant. Je ne redoute qu'une chose, qu'il passe un jour à l'acte. 

Je lui consacre deux rendez vous par mois. Pas davantage au risque qu'il devienne addict à moi. Il est passionné par mes tranches de vie.

Je lui parle de la fiesta avec mes potes de chambrée :

Vanessa s'empresse toujours d'arriver la première comme si la soirée allait lui échapper. Elle n'arrête pas de répéter :

 « C'est bien ce soir qu'on s'enjaille hein ? C'est bien ce soir ?.....hein ?....c'était pas hier ?...

 Elle ne trouve jamais le temps de se vernir la face. Faut la comprendre, elle a la gueule en coin de rue et quand elle tente un clin d'œil, ses pavés se déchaussent à la pelle. 

Sa moitié s'appelle David, continuellement dans les vignes, rarement sobre. La langue pendante millésimée de vin de merde remplie de bave de comptoir, il me répète que j'ai de belles oranges sur l'étagère. C'est énervant. J'ai beau lui rabâcher :

 « C'est pas une étagère ! C'est une enfilade. "

Rien à faire, il pige pas. Il est tellement chlass qu'il mange le bitume à longueur de temps. 

 Vanessa n'a guère confiance en lui. Elle le soupçonne d'infidélité. Elle dit qu'il mange à tous les râteliers usant à tout vent de sa balayette turbulente. Homme ou femme, ça ne le dérange pas, il s'arrange toujours pour être entouré. Je n'ose pas lui dire que son mec n'est pas franc du collier. Ce David est un faux bi.

Il s'est inventé un autre sexe, comme moi je me suis inventée une autre vie grâce aux commères présentes dans mon esprit. C'est rassurant de savoir que je ne suis pas la seule à yoyoter de la cafetière. Ce faux bi est atteint d'une phobie, l'athazagoraphobie, la peur d'être ignoré.

David et Vanessa forment un beau couple. Un vrai couple ateubique. Et quand ils débarquent, les voisins disent :

"Tiens voilà le coin de rue en bitume"

Il y a aussi Loïc. Une bonne bouille d'écrevisse. Il s'en prend à son nez continuellement. Il est persuadé qu'il est habité par le diable qui se serait introduit dans son tarbouif. 

"Arrêtes de fourrer tes doigts dans ton renifloir Loïc, tu vas finir par décrocher tous les tableaux. Tu te prends pour Dali ? De toute façon, tu ne trouveras que des croûtes !"

"Six, six, six !"

C'est la seule réponse qu'il trouve. Mon psy dirait qu'il est atteint de hexakosioihexekontahexaphobie, l'autre nom de l'éternuement je pense. 

Mine de rien, ça peut rendre fou un nez ! Loïc dit que les clowns mettent un nez rouge pour faire rire le diable à la folie. Quand il a scruté tous les coins de son tarin, il court en fusée au petit coin comme si il avait l'airbus en bout de piste. Il dit qu'il a un besoin pressant d'évacuer le sheitan à force d'avaler des poires d'angoisse à longueur de journée. 

C'est pour cette raison que je ne mets jamais de poire dans le repas que je prépare. Lui aussi préfère les oranges. 

On rigole bien avec mes potes. Même si au petit matin on a tous des gueules à avoir avalé des pieds.

Les lendemain de fête, j'ai un langage en pattes de mouches. 

Encore une nuit où je ne me sacrifierai pas à Vénus.

Soirée de oufs  ! 

On a siroté et dansé toute la nuit sautant de bas en haut et de haut en bas comme des arsouillepilami. Même le plancher s'est invité à grands coups de lattes dévoilant toute sa menuiserie. Il formait des vagues claquantes sur les murs. Un spectacle si beau que je ne me suis pas rendue compte que j'avalais mon verre de punch cul sec.

Loïc s'approche de moi. Les doigts scotchés au fond de son pif et d'une voix nasillarde il me lance :

"Tu regardes quoi ?"

Le plancher

"Ah oui ? Qu'est-ce qu'il a de spécial ce plancher ?"

Bein tu vois, le plancher est sorti de ses gonds ce soir parce que toute la semaine il fait la planche. 

"Oh ! tu as abusé du rhum toi. Dommage que Tom ne soit pas parmi nous ce soir."

Tom ? Et pourquoi Tom ?

"Ce serait une soirée spéciale en son honneur : le bal à Tom !"

Loïïïïcccccc....... décroches tout de suite tes ongles de ton nez. Soit tu viens de toucher ta cervelle, soit celle de ton satané diable ! Tu veux que je demande à mon plancher de te fourrer sa langue de bois dans tes naseaux ? Tu pourras dire adieu à tes poils de nez et bonjour aux échardes ! 

La commère dans ma tête en rajoute une couche. Elle dit que mon plancher devrait monter sur les planches parce qu'il smurf divinement.

Cette voix complètement lucide réagit au  troisième degré, s'invitant à la soirée sans ma permission. Il faut toujours qu'elle ramène son timbre. Puisque c'est comme ça, je ne répèterai pas ce qu'elle m'a soufflé. Je le garderai pour moi. Ce n'était pas à elle de trouver cette réflexion sur le plancher. J'aurai été capable de dire exactement la même chose. Cette voix est complètement habitée.  C'est elle qui est atteinte d'aliénation. Moi j'ai juste abusé d'alcool. 

(Tiens, en parlant de plancher, je me demande si j'ai pensé à nettoyer les carreaux de ma fenêtre).

Loïc me secoue. Il me présente son nouveau colocataire. 

"Je suis Ali Minium mais je tiens absolument qu'on m'appelle Aliminium tout court." 

Pas de soucis. Je t'appellerai Aliminium. Je ne veux surtout pas te froisser Aliminium !

Soudain, il s'est produit un truc très bizarre. Nos pupilles se sont percutées. J'ai eu un coup de fou schizocardiaque et une grosse bouffée de caloriphagie.  Cet espèce de stéréotype coiffé d'un walkman, ondulant son corps à coups de reins m'a scotchée au sol coupant le sifflet à mes voix intérieures. Le plancher l'a ressenti aussi. Il est complètement immobile.

Aliminium est beau comme un pieu. J'ai peut-être enfin trouvé  quelqu'un sur qui je peux m'appuyer et qui va pouvoir me débarrasser de ma couverture. Une belle rencontre s'annonce.

Euhhh.....Tu écoutes quoi comme musique Aliminium ?

"Du métal quand je suis droit comme un i et si je sombre dans un coma italique, du raggae. Mais ça c'est pendant mes crises de reggaenération forestière !"

Aliminium est beau comme une savonnette lilas ! Il a une tête de rascasse volante avec ses rastas acrochromes. Et ce teint ! Et cette peau ! Un vrai coussin à épingles ! Sa voix de crooner fait vibrer mes cordes vocales. Ma gorge dégorge de sècheresse et ma langue se retrouve habitée par une pluie de mini roses des sables. Mes papilles puisent dans mes pupilles tellement j'ai soif et les oranges sur l'enfilade ont déserté leurs quartiers. 

On va prendre un verre sur la terrasse Aliminium ?

"Allons-y mais sans ton pote Loïc parce que le hic avec ce mec, c'est qu'il est persuadé de trouver un gadget dans son pif. "

Il me subjugue. Non seulement il aime la nature, mais il est loin d'être un abrutyrotomofilogène. J'aurais pu dire simplement "abruti" mais c'est encore cette satanée voix qui m'a dépassée. Il faut toujours qu'elle ramène sa science. Je lui ai même donné  un nom à ma voix. Je l'appelle Ouiki.

Un attroupement fourmille sur la terrasse. Aliminium me prend la main et nous dirige vers un groupe agité, équipé d'instruments de musique.

« Viens je vais te présenter les miens. Au fait c'est quoi ton petit nom ? »

 Appelle moi Odess tout court. Tu les connais tous tes potes ?

"Oui, J'ai monté un groupe de zik. On se réunit souvent pour jouer. Je te présente Sam. C'est le bassiste, il est autiste. Il a un talent incroyable. C'est  la colonne vertébrale, le pilier."

Sam s'approche de moi, presque à me coller, me dévisage de gauche à droite jusqu'en bas puis relève la tête en rythme et s'adresse à moi : 

"Salut Odess ! Tu vois Odess, la musique c'est le cancer des émotions. Loïc m'a dit que tu avais un problème avec ton plancher. Moi, tu me plais bien tu sais, et j'ai la solution pour toi.

Quelle solution ???

"Je détiens la clé de sol, alors c'est quand tu veux qu'on déterre le septième ciel !"

Merde alors, c'est vrai qu'il est perché l'autiste ! Il m'a dévisagée comme un solfège. Je suis sûre qu'au moment de passer à la casserole, il m'aurait fait le coup de la partition. Ce genre de mec exigeant attend beaucoup de la gente féminine. Je suis prête à parier qu'il n'en drague que deux sortes. Une noire, une blanche…une blanche, une noire…., il leur met des notes. Je sens immédiatement que nous ne serons pas en harmonie dans ce répertoire. La basse continue, très peu pour moi ! Manquerait plus qu'il me demande de l'appeler Octave pendant les cadences et puis j'ai la nette impression que les individus de ce groupe confondent souvent les gammes avec les grammes et.... Aliminium aussi.

Une voix se manifeste dans ma tête :

"Attention, il est marié ce Sam. Son demi ton s'appelle Solveig, fais attention, il va faire de toi son morceau préféré pour finir en sus domininante !"

Merci ma voix Médium ! Bravo Ouiki !

Tu es sympa Sam, mais c'est ton copain Aliminium qui m'a tapé dans l'œil ! Eh dis moi, il s'appelle comment votre groupe ?

"tu as devant toi le SemchMétal !"

SemchMétal ? qu'est ce que ça signifie ?

"Soleil de fer" 

le soleil brûlant qui durcit comme du fer, c'est de la lave non ?

"Oui mais on n'allait pas quand même appeler notre groupe Laverie tu piges ?"

Oui Sam, si tu le dis.... 


La folie c'est la déconcertation de la raison...


On continue ? Je te présente le reste de la troupe ? Attends moi ici, je vais aller les chercher.

Pendant qu'Aliminium s'éloigne, Sam l'autiste bassiste discute avec moi tout en exerçant un mouvement répétitif. Il ne tient pas en place. Il se balance, tourne sur lui même et gratte de ses doigts une guitare imaginaire. 

Arrêtes de bouger, tu me donnes le tournis

"Quand je suis intimidé, devant une situation qui me perturbe, je perds mes moyens, je fais semblant de jouer. C'est mon côté autiste. J'ai appris le monde par cœur mais j'ai préféré le monde de la musique à la folie. C'est  mon côté bassiste.

C'est grâce à la musique que tu es là ?

"La musique c'était le monde prévu pour moi. Je combine les sons, je comble les silences et je donne la parole à mes émotions. Mon seul interlocuteur, c'est ma basse. Et puis un jour, j'ai pété une corde. 

Tu veux dire que tu as pété un câble plutôt !

Non ça c'est chez les non autistes les câbles. Eux n'ont pas été capables de détecter mes troubles artistiques. Ils insistent à me diagnostiquer des troubles autistiques. J'ai réellement pété une corde. A partir de ce moment, je suis entré en crise, devenu complètement aphone. Il me manquait une seule émotion. Je suis en convalescence, j'essaie  de la retrouver avec l'air du temps. Mon psy m'attribue une note chaque fois que je vais le voir. Il pense que c'est la seule manière de guérir. Mais il se trompe. Il ne connaît même pas l'anatomie d'une note. Quand je lui explique qu'une note a une tête comme nous, il me regarde avec les mêmes yeux que la truite de Shubert."

Une truite ? Tu es sûr que ce n'est pas une sole ?

"Non, c'est une truite. Quand je dis à mon psy qu'une note possède une hampe, là aussi il déchante. Le pire c'est quand je lui parle de l'origine de ma naissance" 

Tu te souviens de ta naissance ?

"Oui. Je me souviens même du cri que j'ai poussé. J'ai crié UT "

Et pourquoi UT ?

"Parce que je suis une note provenant de la portée du monde UTérin"

Ah bon ? Moi j'ai crié Ouinnnnn....et je ne suis pas une note !

"Non toi tu es un cœur. Les notes ont besoin de cœurs"

Tout à coup, Aliminium débarque comme un fantôme et s'adresse à Sam.

 "Qu'est ce que tu viens de dire à ma poupée, tu l'appelles mon cœur ? Mais tu es en train de la draguer ma parole ! Doucement Sam, c'est la mienne !"

Tu es sérieux ? On causait musique !

"Je sais, je plaisante. T'es mon pote Sam. Tiens approche Odess. Je te présente Zazotte. On l'appelle comme ça parce qu'il zozotte quand il ne bégaie pas"

Aliminium m'explique que Zazotte écrit toutes les chansons du groupe SEMCH'METAL. L'écriture est son seul refuge, le moyen d'effacer  ses troubles. Je demande à Aliminium depuis quand datent les bégaiements.

"Depuis que son meilleur ami l'a surpris avec sa fiancée, une bombe atomique à rendre fou un aliéné !  Elle était là où il n'aurait jamais dû la trouver" 

Elle était où ?

"Sous Zazotte"

Que s'est il passé ensuite ?

"Zazotte a mis les gaz mais il s'est fait rattraper par son pote qui lui a mis un coup fatal sur la tête, faisant vibrer la cartographie de son cerveau. "

Et qu'est ce qu'il est devenu son meilleur ami ? 

"Il est là parmi nous, il a pardonné à Zazotte ! Tiens quand on parle du fou, on voit le neurone. Le voîla. Je te présente le mongolien. Tout le monde connaît le mongolien ici !"

Mais pourquoi tu l'appelles le mongolien ? Il n'a vraiment rien de mongolien.

"Tu vas vite comprendre. Il passe des heures à répéter cette satanée phrase. Vas-y le mongolien exprime toi !"

L'homme s'approche de moi et me souffle à l'oreille :

Tu sais comment on appelait les montagnes au temps de la Gaule ?

Euhhhh....non....je ne sais pas.

Puis  il se met à hurler :

LES MONTS GAULIENS !


Il ne faut jamais parler la tête pleine.


Je feins d'être folle. Je simule une certaine aliénation artificielle me fabriquant un bouclier de folie électronique et ça me procure un bien être sensationnel. Oui j'ai la tête pleine de puces. Ce mécanisme protecteur retient toute impulsion émotive néfaste. Faire semblant d'être aliénée demande beaucoup d'efforts, d'imagination. Il ne faut jamais parler la tête pleine. Il faut savoir libérer la parole. Deux chemins s'offraient à moi, la raison ou la dérision. J'ai fait le choix d'écouter l'écho de mon esprit. 

Mes voix me tiennent compagnie et sont les seules, avec moi, conscientes de mon état. Elles ne me quitteront jamais pour la simple et bonne raison qu'elles sont folles de moi. Elles sont mes garde-fous. Je les entends souvent dans des querelles cérébrales interminables. Elles interviennent toutes en même temps, chacune voulant prendre la parole la première. Il a fallu procéder à un vote, désignant une porte parole, la voix off, Ouiki. Elle a obtenu une majorité de voix. Elle me dit que l'on est toujours le fou de quelqu'un, elles m'ont donc choisie avec consentement. 

Mon quotidien  me fait  rencontrer d' incroyables personnages tous aussi délurés les uns que les autres. Parmi tous ces êtres, j'espère rencontrer ici l'amour :

"L'homme qui murmurait aux gonds des fenêtres"

Battante pour mon beau dormant ! Suffit de prononcer la formule magique :

"Que nos paumelles s'enclenchent !"

Il faut que je cesse de me parler tout haut, me poser des questions. Je parle bruyamment pour que mes voix m'entendent. Je devrais baisser d'un ton mais une des voix fait souvent la sourde oreille, passant son temps à crâner, n'en faisant qu'à sa tête. Je fais en sorte que les messages passent. 

Quelqu'un interrompt soudainement mon discours.

"Tu parles toute seule Odess ?"

Ah c'est toi euh......le mongolien...Qu'est ce que tu fais ici ?

"je traînais dans le coin, et je t'ai entendue. Tu te fais la voix ? Tu t'entraînes à chanter pour la journée de la folie ?"

Ah oui c'est vrai, tu as raison. J'oubliais la fête de la journée de la folie. Je fais partie des choeurs de l'Asile Rouge. C'est bientôt en effet. Non, là je réfléchissais. 

"Attends, j'ai une devinette pour toi"

Vas-y, raconte !

"Tu sais quel est le comble d'un dé ?"

Euh...attends.....euh...non, je vois pas .

"C'est de le remettre à sa place et c'est un dé rangé !"

Je n'ai pas compris le coup du dé (j'aurais dû demander à Ouiki),  mais ce mec me paraît complètement dérangé !

C'est qui la tête qui dépasse de ma porte ?

"C'est mon ami Lakdar le Caïd. Entre Lakdar !"

Un petit bout d'homme tout en rondeurs éjecté d'un conte d'Ali baba apparaît. Des yeux noirs comme des olives, il porte un turban qui a dû faire 33 tours de sa tête, une tunique satinée bleu cerise sertie de pruneaux d'Alger. Ses pieds sont ornés de babouches incrustées du mot "Caïd33". Malgré son allure obèse, il paraît d'une force extraordinaire. Sa graisse masque une épaisse musculature. Les présentations faites, je lui demande :

Tu es de Bordeaux Lakdar ? Un fervent chauvin ? 

Il me répond :

"Non, ça n'a rien à voir avec le vin chaud, j'adore la bonne bière, la bière 33 El Harrach. Je rajoute un peu d'harissa, je mélange tout doucement et la magie opère. Un litre après, le caïd c'est moi !"

Le Mongolien demande à Lakdar :

"Tu voulais me voir ?"

Oui, en tant que slameur à la fête de la folie, j'ai un texte à te proposer. Je sais, tu vas me dire que l'année dernière je me suis fait éjecter parce que j'avais abusé du chrab33, mais cette année c'est sérieux. Tu pourrais filer mon slam à Aliminium en espérant qu'il valide.

"C'est quel style ton slam ?" répond le Mongolien

Tu sais c'est genre Grand Chibani Malade. Je peux te le chanter si tu as cinq minutes.

Lakdar se lance dans une préparation loufoque. Il plonge sa main dans sa bouche et de ses doigts humides, caresse le bout de ses sandales comme pour les purifier. 

"Je me protège contre les ondes négatives, les cracistes !"

Ah bon ? C'est quoi les cracistes ? 

"Je suis musulman, mais c'est ma femme qui pratique à ma place, elle le fait mieux que moi. Je fuis les racistes parce qu'ils sont crades dans leur tête. C'est ça un craciste. C'est bon ? Je peux attaquer mon slam ?

Vas-y Lakdar, on est de tout cœur avec toi !

C'est en gesticulant qu'il entame son texte d'une voix mélodieuse :


Le Caïd c'est Moi !

Je fouille dans ma Djellaba.  Oilou ! Plus de flouze !  Pas un dirham pour offrir un brin de jasmin à mes chibanis.  Faut que je fasse fissah !  Inchallah ! C'est mon jour de baraka. Le Caïd c'est moi ils m'ont dit.  

C'est Mohand et Farid qui me l'ont répété hier pendant le marghreb.  Ils ont dû abuser du chrab !

« C'est ton anniversaire demain .  Allah est grand ! Tiens prends ce présent, tu l'ouvriras à l'aube et tu seras le Caïd ! »

«Choukrane  mais c'est pas mon anniversaire, je ne sais même pas quel jour je suis venu au monde ! J'suis un présumé moi, juste un présumé  »

Ils ont décidé que demain sera mon anniversaire. La première fois pour moi Ouallah !

Le paquet  a passé la nuit sur mon lit.

Ya un sem'ch d'enfer qui pointe ce matin.  Un bon petit kawa, un peu de khobz. J'ouvre le paquet.  Zarma c'est ma fête aujourd'hui !

Bababababa ! Ils se sont pas foutus de ma gueule, trop belle cette ceinture ! Et elle me va bien, impeccable ! On dirait un vrai roumi ! Et ils l'ont même décorée. Des sculptures accrochées à chaque œillet avec des fils de couleur. Il y a même une belle petite montre sur la boucle dorée. J'ose pas leur dire que je sais pas chouffer l'heure. Pas grave, puisque le Caïd c'est moi !

Je file faire un tour au souk. Je trouverai  bien un khouya  qui me paiera un couscous merguez ou un tajine, ou peut être un khebab.  Hummm ! Une tchektchouka bien relevée ! Je m'habille comment ? Saroual babouches ?  Je vais être beau comme un nabab.  Assez . Barka la gandoura , surtout pas de khachabiya , ça ne me va pas, on dirait un m'zabi.

Yallah ! Je descends dans la Médina.   Le bouif du coin se précipite pour me cirer mes babouches.  Je ne lui ai rien demandé, il insiste. Il dit que le Caïd c'est moi !

Tiens !  Qu'est- ce qu'il lui prend  cette gazelle ?  Elle relève son keffieh  tout en me fixant droit dans les yeux .

« Ouech ! Tu es le grand Caïd ! » qu'elle me dit.   

Trop belle la mousmée ! Dommage qu'elle soit voilée. C'est une masacarade ce masque arabe, tant de beauté cachée.   

Alors comme ça je suis le Caïd ! Sont tous zarbis aujourd'hui !   J'vais bien trouver une guitoune où l'on m'offrira un peu de haschich ! M'tourner les pouces  toute la journée au semch's, j'ferai la manche,  ya rien à faire d'autre dans ce bled.

Aujourd'hui ils me kiffent tous ! Auparavant je n'étais que le pauvre maboul, le derwiche de l'Oued, c'est le surnom qu'ils m'ont donné depuis qu'on m'a trouvé,  jeté dans une guitoune elle-même abandonnée. Après avoir erré tout môme dans la Casbah, j'ai échoué à Mosta. J'ai été recueilli ici et là vivant chichement . On ne m'a jamais pris au sérieux. …….et  tout à coup, on me vénère comme le grand marabout.

Je suis le Caïd, qu'ils disent !  Je suis devenu le grand Cheikh. Non....pas le Cheikh quand même, mais le Caïd.

J'aperçois la Mosquée. J'appréhende. Ils vont encore me jeter des gros cailloux qu'ils ramènent du Djebel et m'insulter de djinn !  Mais je suis bien le Caïd aujourd'hui  n'est-pas ?

  J'attrape une chéchia au hasard des têtes dans le souk et je longe la mosquée fier comme un Hadj. Je m'incruste parmi la smala. Pas une main pour m'infliger la punition quotidienne !

« Tu es le Caïd ! » scandent ils tous !  Ils me musulmanisent !!!  Je fais partie des leurs !

Miam !  une part de pastèque juteuse !  basm'Allah !   Bendirs et derboukas  résonnent dans ma tête. Ils me soufflent : tu es le grand Caïd,  suivi  de youyous endiablés, enrubannés d'une forte odeur de camphre.

Je me gratte le front. Tous ces salamalek pour moi ? Moi le maboul de l'orient ? J'suis sûr de pas aller au hèbs.

Bababababa c'est trop bézef pour moi toutes ces attentions.

J'entends le muezzin. Il va certainement hurler que je suis le Caïd.

Je vous laisse mes khouyas.  Je dois aller faire ma prière.  Enfin pas tout à fait. Je vais faire semblant de la faire. M'agenouiller et bredouiller du charabia parce qu'aujourd'hui je peux le faire haut et fort ! Je suis bien le Caïd"


Bravo Lakdar, tu m'as transportée. Et toi le Mongolien, tu en penses quoi de la prestation de Lakdar ?

"Je peux largement faire mieux"

Espèce de craciste ! lui lance Lakdar

(J'espère que ma fenêtre ne va pas péter un bou... lon !)


La folie ne se mange pas en salade...

J'ai invité Aliminium à prendre l'apérif. Cet abruti est arrivé une heure à l'avance !  Juste au moment où je parlais à mes plantes aromatiques. Un bon plat ne se cuisine jamais sans de succulentes épices faites maison. Je voue une passion à mon potager. Un lien fort s'est établi entre mes plantes et moi. J'ai toujours quelque chose à leur dire. Et quand je fredonne leur air fétiche, elles se mettent à vibrer. Comme par magie. Submergées par une montée de sève, le miracle se produit. Elles prennent la position du serre feuilles. Un tableau magnifique embaumé par le cumin.

Il va falloir que je prenne mon courage à deux mains, que j'avoue ce rituel à mon psy. J'imagine sa tête quand je vais lui raconter. Et son diagnostic : « Vous avez la main verte » ! 

Encore un qui ne s'endort pas sur ses lauriers. Et tant que j'y serai, je lui soufflerai la chanson magique en hurlant. Peut-être que ça  lui provoquera un effet. Et si je constate qu'il essaie de se boucher les oreilles avec ses dix doigts, je lui dirai :

J'ai peut-être la main verte certes, mais c'est impressionnant l'effet que cette chanson vous fait !

"Ah bon ? Et quel effet cela me fait il ?"

L'effet de serre !

"Intéressant ! Et pourquoi l'effet de serre ?"

Parce que c'est de cette façon que l'on devient fou.

"Ah ?"

(Il ne pige vraiment rien) 

Tenez je vous ai écrit les paroles de cette chanson.

"Vous voulez que j'en fasse quelque chose ?"

J'aimerai la chanter au concert de la journée de la folie, elle dévoile un message subliminal.

"Je peux avoir connaissance de ce message ?"

Oui bien sûr. Je voudrais que l'espèce humaine cesse de dire que nous ne sommes que des légumes. J'aimerai que l'on nous considère comme de belles plantes qui ne demandent que de l'amour..........Attendez, je vous refais le refrain, vous comprendrez mieux !

 

Mon thym a un beau teint

J'en mets dans mon bottin

Sève dans la fève...ail...ail !

Curry et cumin pestent haut

Citron et piment sur le dos

Sève dans la fève...ail...ail !

Allez sur eauuuuuuuuuuuuuu !

Allez sur eauuuuuuuuuuuuuu !


« C'est bien ce que je dis, vous avez la main verte ! » finit par me dire mon psy.

A cet instant, ma voix Ouiki s'est pointée apparemment très furieuse. Elle se raccroche à ma corde vocale et me fait dire à mon psy : 

Vous savez, si j'avais été psychiatre, je n'aurai pas donné ce diagnostic. J'aurai eu un autre avis sur la question.

« Et quel aurait été votre diagnostic ? »

Je n'aurais pas dit à ma patiente qu'elle a la main verte, mais qu'elle a le bulbe vert.

"Mais où allez vous chercher tout ceci ?"

Dans mes racines docteur !

C'est l'entretien que j'avais imaginé avec mon psy qui, chose incroyable, s'appelle professeur Bourgeon ! Quel coincé du bulbe...!

J'en ai complètement oublié Aliminum qui s'impatiente derrière la porte. Il a du se tromper d'horaire. Je n'ai pas eu le temps de passer l'aspirateur qui traîne à l'entrée. Tant pis. Je cours lui ouvrir le cœur battant.

"Entre !"

- Je ne suis pas tout seul, j'ai récupéré mon pote dans le couloir. Il vient d'arriver. Je ne voulais pas qu'il reste seul tu comprends, ça fait deux piges que je ne l'avais pas vu.

"Ce n'est pas grave, entrez. On partagera le repas !"

Aliminium 

Je te présente mon pote Pierre.







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