Journée de vacances
Isabelle Thiebault
C’est bien la première fois qu’il arrive à prendre son vol plus tôt que prévu ! Aussi pénible soit-il, ce client japonais lui aura au moins fait ce cadeau : une session annulée. Un changement de billet et retour au bercail avec 24 heures d’avance : une journée de vacances volée au planning.
Au regard de la semaine écoulée, ce n’est que justice. Des journées de 15 heures et des soirées interminables, noyées dans le saké tiède, à regarder tomber les commerciaux, les uns après les autres … C’est la dernière fois qu’il accepte d’animer ce séminaire. Le Japon, il en a soupé ! L’an prochain, Jenkins n’aura qu’à s’y coller !
Paris s’éveille sous ses yeux. Dans la lumière du petit jour, la ville lui appartient. Il exulte. Par la fenêtre du taxi il regarde défiler les façades couvertes de graffitis. Décor familier qu’il se surprend à aimer. Les premiers commerçants ouvrent leur devanture. Il a eu le temps d’acheter, à l’aéroport, des croissants chez Paul et un bouquet de jonquilles. Il fredonne la chanson de Dutronc.
Le petit déclic de la porte cochère résonne comme un joyeux sésame à son oreille. Il grimpe les marches 4 à 4 et tâtonne pour récupérer la clef qu’elle laisse toujours derrière le boitier électrique. Ne pas faire de bruit. Ne pas la réveiller, pour la surprendre dans son sommeil. Café, croissants, oranges pressées … Surprise mon amour !
Il se glisse en riant silencieusement dans l’appartement sombre, aux volets légèrement entrebâillés.
Il flotte dans l’air une odeur de tabac froid, mêlée à un autre parfum, vaguement familier et pourtant insolite. Il pose croissants et bouquet sur la table et balaye la pièce des yeux, à la recherche d’un vase. Son regard trébuche sur le briquet plaqué or, qui accroche la faible lumière du jour. Il se redresse, comme un ressort tendu. Le cœur battant, il revient sur ses pas, dans l’entrée. Sur le porte-manteau, l’imperméable écossais et l’écharpe rouge le narguent, confirmant l’innommable soupçon qui lui retourne l’estomac.
Lentement, il se dirige vers la fenêtre, l’ouvre et pousse doucement les volets. Il inspire longuement. Plusieurs fois. Jouant machinalement avec les clefs, il observe la rue qui s’anime. Les rares passants qui se dirigent, d’un air affairé, vers la bouche de métro. Le restaurant du rond point, illuminé, où quelques habitués prennent un premier café au bar.
Ne pas hurler. Ne pas pleurer. Ne penser à rien.
Résister à l’envie de se ruer vers la chambre, arracher les draps et casser la gueule de ce salaud de Jenkins. D’être le splendide cocu, gallinacé de la farce….
Refermer la fenêtre. Sortir lentement. Tirer la porte derrière lui, sans bruit.
Ils garderont les croissants.
En tout cas, c'est bien écrit. Très bien, même.
· Il y a plus de 11 ans ·Il y a du rythme !
Mathieu Jaegert
Une intrigue peut-être (je dis bien peut-être, car il n'y a que deux pages) un poil prévisible, mais une chute géniale. Je n'aurais jamais agi de cette manière et je suis frustré pour le personnage.
· Il y a plus de 11 ans ·jom