j'te kiff un max

Lucie Labat

Elles le toisent les cruelles, du haut de leur petite, toute petite taille. « Mais siiiii elle t'aime c'est suuuuur ». « oui mais elle a dit que non »

Et non en effet elle ne t'aime pas.

Dans le couloir du centre, quelques mètres séparent les chambres des garçons de celles des filles. Tout se passe dans ce couloir, psychodrames enfantins, claquements de portes, émoi de la toute première jeunesse. Léo, 12 ans est amoureux de Flore, 13 ans, qui ne l'aime pas en retour. Cela fait bientôt trois jours qu'ils se connaissent, juste le temps qu'il faut pour tomber désespérément amoureux à ce qu'il paraît.

Petits mots circulent grâce aux messagers et messagères, charmantes commères venues ramasser les morceaux de ce qu'il reste du cœur de Léo. Elles sont impitoyables. Les rapaces tournent autour du couple comme pour récupérer par procuration des bribes d'histoires qui ne sont pas les leurs. Et Léo en panique devant le trop plein d'informations qui accompagne sa déclaration d'amour manuscrite « j'te kiff un max ». C'est moi qui ai corrigé les fautes d'orthographe : y a pas de « e » au verbe kiffer à la première personne de l'indicatif présent.

Rires, jacasseries. On pouffe, on se moque de lui, on le réduit jusqu'à le faire rétrécir, jusqu'à ce qu'il ne prenne plus qu'une infime partie de son histoire d'amour, le reste revenant de fait aux messagers et à Flore. Malgré ce qu'elle essaie de faire croire elle n'est pas indifférente. Ça me crève les yeux quand elle pose les siens sur la détresse du pauvre Léo. On ne me la fait pas à moi, je connais ces regards, ces sourires. Les enfants ne sont décidemment pas doués pour mentir, c'est une des choses que je préfère chez eux. Leur manque de discrétion. On flaire leurs sentiments à des kilomètres…

J'ai toujours peur en les voyant faire de leur ressembler. Entendons-nous bien, les colos, c'est ce qu'il y a de mieux pour faire de belles rencontres… Combien sommes-nous d'animateurs à jouer à Léo et Flore sans que les enfants ne se doutent de rien ? Toute la question est de savoir si ce sont les enfants qui sont bigleux ou les adultes qui sont discrets. Moi je ne me sens pas discrète du tout, à fantasmer en pleine partie de loup garou sur ce que l'animateur garou pourrait me faire, à moi, la monitrice cupidonne. Je trépigne d'impatience en attendant la réunion du soir, ris à toutes ses blagues, rougis sous ses clins d'œil… une vraie gosse. Il serait aisé pour moi de mettre tout ça sur le dos des vacances et des coups de soleil, des coups de chaud… mais rien ne sert de mentir, le contexte n'est bon qu'à me rappeler que des années après, je suis toujours Flore qui attend après Léo. 


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