Juan

Aria était assise au comptoir d'un vieux bar miteux qu'elle avait choisit sur un coup de tête. Elle s'était arrêtée ici, en attendant de rejoindre son train. Elle avait commandé un jus d'ananas qu'elle n'avait pas encore touché, bien que ça faisait déjà une heure qu'elle était là.

Elle pensait. Encore et toujours, sans cesse. A cet homme qui l'avait fait chavirer. A ce garçon tellement beau qu'elle avait craqué. Grâce à une application sur son smartphone, elle pouvait accéder aux profils de mecs de sa région. Elle avait juste à répondre à un questionnaire, afin de connaitre ses goûts. Elle ne devait rien faire, juste cliquer sur "Accepter" si ce que l'application lui envoyait, lui convenait.

Roann, c'était son pseudonyme. Sa photo avait directement interpellé Aria, qui s'était empressée de cliquer sur "accepter". Alors tous les deux, ils avaient commencé par chatter. D'abord de simples petits messages pour se connaitre un peu mieux . Et puis rapidement, ils s'étaient échangés les numéros.

Roann était tout à fait le style de mec que recherchait Aria. Il était blond, avec des yeux bleus qui n'étaient que pureté. Il avait un espèce de sourire communicatif. Elle adorait son prénom, aux consonances espagnoles. C'était un peu "Juan", mais en français finalement. Original. Frais. Renversant. Et puis il avait fini par lui avouer qu'il avait des origines espagnoles. Son nom l'avait trahi, de toute façon. Il atteignait le summum de la perfection.

Aria sentait déjà ses sens s'emballer, au tout début. Et elle s'était trouvée d'un ridicule profond. Elle avait souvent pensé "Si je tombe amoureuse d'une rencontre sur internet, je suis folle à lier!". Elle n'avait pourtant jamais réussi à lutter contre ça.

Ils se parlaient de plus en plus, jusqu'à ne plus arrêter la conversation, et enfin s'échanger leur premier cœur. Ça ne s'était plus jamais arrêté après. Ça respirait l'amour partout dans leurs sms.

Ils ont évidemment connu leur première dispute. Roann avait fait une petite crise de jalousie, à un moment très mal choisi, puisque c'était deux petits jours avant qu'ils ne se rencontrent officiellement. Aria avait donc refusé de le voir, elle ne voulait pas que cette dispute gâche un moment si précieux.

Et puis le temps passa, non sans faire décupler leurs sentiments. Ils étaient arrivés à un stade, où ils avaient besoin de se dire "Je t'aime". C'était naturel, c'était évident, c'était beau. Et puis du jour au lendemain, Roann s'était montré quelque peu distant, ses sms devenaient de moins en moins fréquents. Et quand Aria lui parlait, il disait qu'il n'avait pas le temps, ou pas envie d'en parler. Il disait qu'il avait des problèmes, mais quels problèmes?

Aria s'était jurée de lui faire cracher la vérité, et c'est ce qui arriva, un mercredi soir où elle prenait son train. "Je vais passer devant un juge, Aria, je ne peux pas être quelqu'un de bien, je ne peux pas être quelqu'un pour toi. Tu mérites mieux que ça. Ne pose pas de questions là-dessus, c'est trop dur..". Elle avait éteint son téléphone puis rallumé subitement, en s'empressant de lui répondre "Mais qu'est-ce que t'as bien pu faire? Si tu me fais assez confiance, alors parle-moi! Sinon, je te souhaite bonne chance!"

Il n'a pas daigné lui dire un seul mot de ce qu'il avait fait. Elle avait attendu longtemps, pour qu'il se révèle à elle, mais elle avait surtout attendu pour rien. Jamais la conversation n'était revenue sur le tapis.

A peine trois jours après, il lui avait dit qu'ils devaient parler. Elle avait demandé, "Parler de quoi?" et il lui avait répondu qu'ils devaient parler d'eux. Il avait alors envoyé un "Je suis amoureux.." tellement fou qu'elle n'en ressentit rien. Pas même un peu de joie, ou de colère, rien. Elle était restée passive, peut-être un peu secouée, mais sans réaction apparente.

Dans ce bar miteux, elle avait demandé une feuille et un stylo, où elle avait griffonné quelques lignes : 

"Je l'aime, et je m'en fiche de ce qu'il a fait ou pas fait. On oublie, on recommence tout. Oui, mais s'il avait tué quelqu'un? S'il avait été pris avec une substance illicite dans les mains? S'il était en fait, ce genre de bad boy? Réveille-toi Aria, réveille-toi. Tu bouges tes fesses de ce bar, parce que regarde-toi, t'es en train de t'écrire à toi-même sur une feuille, tu te parles à toi, merde! Tu te lèves de ce tabouret qui grince, tu sors, tu l'appelles. Là tu l'embrasses et t'attends de voir la suite. Maintenant c'est soit tu vis ta vie à fond, et tu t'en fiches de regretter plus tard. Soit tu restes passive et tu perds peut-être l'opportunité d'être avec quelqu'un que t'aimes vraiment. On s'en fout de savoir ce qu'il a fait ou pas fait. T'y vas, un point c'est tout."

Elle paya son verre, se leva et trébucha du tabouret. Un homme la rattrapa. Elle croisa son regard, SON regard. Ses yeux bleus étaient encore plus beaux en réalité, que sur les photos.