Judas
sadnezz
Chapitre 1 - Je suis au delà de la repentance
[ fin du moyen-âge, Bourgogne. ]
Tout commence dans un regard. Tout s'exprime dans un regard. Masculin et chaud, pourtant muet et froid, celui dans lequel on ne sait que lire. La prunelle sombre court sur l'abrupt d'une marmoréenne sépulture, elle semble la caresser avec précaution, avec attention. Lèvres closes, poings fermés. Les cloches se sont tues, la cathédrale drapée de son silence. Les cimes de ses citadelles se découpent sur ce duo mi homme mi roc, sur les visages figés des statues aux lichens bleus dans lesquelles celui de Judas semble se fondre. Mutique et interdit, il se tient trop droit, il se tait trop fort. Mâle jusque dans sa façon de respirer, mal jusque dans ses tempes qui se crispent et se radoucissent au fil de sa contemplation. Il est là. La rangée de crin sombre s'élève aux cieux, coiffant ses yeux d'une auréole étrange.
Sa cape vient balayer le sol et ses feuilles mortes, cette terre où la grande faucheuse a semé ses ouailles, avec ses cloches de malheurs, ses messes et ses glas. L'homme fait volte face, crachant sur le lit de pierres. Inébranlable, il l'était ... Jusqu'à ce qu'elle vienne comme un vers le ronger par dedans. La rancœur. Étouffée soigneusement sous la carrure, dissimulée sous l'allure, maquillée avec droiture... Il avançait avec la rage des écorchés, l'amertume des volés. Raclure, animal de luxure Marchand d'esclave et de poisons, nul ne savait bien d'où il tirait ce nom d'opprobre ni d'ailleurs si ce n'était qu'un simple sobriquet d'affaires. Caresse d'une main, torture de l'autre, c'était cette inconstance qui le caractérisait le mieux. Judas. Silencieux Judas. Sa trentaine en bandoulière et ses cheveux longs et raides.
Être d'apparences, ganté ou chapeauté, toujours le pas sûr et ces airs de ceux qui ne disent pas tout. On parle pour lui, on se l'invente. Lui créer des maîtresses, des méfaits et des mots, tel était le passe temps de sa cour étrange. Ni sage, ni de bonne vie il a pourtant le nom des plus grand et l'aura d'une famille française illustre. Les Von Frayner. Qui pourrait penser qu'il fut né dans cette cathédrale? Lui qui portait la croix et qui n'avait pour baptême que celui de l'eau de pluie... On le dit déraisonné, on observe ses humeurs lunatiques avec un sourire amusé, on l'évite et pourtant le sert. Judas Gabryel.
Bon grivois, il se mêle aux gueux et à leurs mœurs dérangeantes, boit aux mamelles des exilées pour rentrer au petit matin, toujours sobre et silencieux dans ses draperies près d'un corps a sculpter de ses lippes volages. Lorsqu'il sourit aux passantes, on le croirait anonyme. Pourtant dans son dos persistent les murmures qui lui arrachent un fin rictus, misogyne. Homme de peu, de pouvoir ou de discorde , finalement qui peut se vanter de connaître la bête ... Si ce n'est celles qui partagent sa couche.
Au passage de sa monture nerveuse, les grilles de sa demeure se sont ouvertes timidement. La pluie d'une fin de journée entre chien et loup s'est abattue sur ses épaules, ruisselant le long de ses cheveux bruns. Le garde reste muet, sa nuit ne fait que commencer. Même les chiens sont plus au sec. Pour Judas cette nuit marque la fin d'une époque; il n'ira plus poser les yeux sur le monument. A trop se remémorer ses erreurs on finit par courber l'échine aux dieux des faibles. La maisonnée est calme en cette nuit d'orage. Au creux de sa couche une silhouette féminine semble l'attendre, sa respiration n'est pas celle d'une endormie et ses cils battent parfois sur ses yeux.
La Bourgogne, terre de légendes où coulent des vins miraculeux; Terroir salace riche de passion, de déraison et de haine..Jolie plume en tout cas, on se laisse griser au fils des lignes dans une ambiance de dies ire.
· Il y a presque 11 ans ·Frédéric Cogno
Lecteur assidu Frédéric ! :) Merci
· Il y a presque 11 ans ·sadnezz