Juliette

petisaintleu

Il faut appeler un chat un chat. C'est toi qui as pointé le bout de ton museau. Sans la moindre espèce de gène, tu as franchi la porte-fenêtre, tu as traversé le salon et tu es venue trôner sur le canapé. J'étais tétanisé. J'avais peur que sur un coup de tête, après que tu as pris tes aises, tu repartes sans la moindre forme de procès.

J'inversai les rôles qui sont depuis établis. Je feignis de te négliger. Occupé à je sais quoi sur mon ordinateur, tu vins me signifier que tu m'avais adoubé. Je fus dans l'incapacité de continuer, tant tu t'acharnas à marquer ton territoire. Tel un bélier, tu t'attaquas à mes phalanges pour sceller à jamais notre union de ton sceau phéromoné.

La glace a tout de suite été brisée. Nous en sommes à sept ans de bonheur. Je ne suis pas plus ton esclave que tu n'es ma chose. Selon notre humeur, je suis ta maman avant que nous n'échangions les rôles. Tu m'invites alors à régresser. J'ai parfaitement compris où tu voulais en venir. Tu m'invectives par tes ronrons, par tes coussinets délicatement posés sur mon visage et par ton regard plongé dans le mien à basculer dans notre monde. Comment y résister ? Tu me convies à ne plus ruminer mon passé et à ne pas me projeter dans un avenir que j'estime troublé. Si tu pouvais me parler, tu n'emploierais que le présent. Tu m'indiquerais qu'il faut savoir profiter de l'instant.

Moi qui suis nul en philosophie, tu m'invites à m'interroger sur le sens de la vie. Tu es la tempérance et la constance incarnées. Petite coquine, tu te fais péripatéticienne en m'obligeant à réfléchir, allongée à mes côtés, sur la sagesse. Je suis ton lycéen qui, à défaut de t'entendre, parvient, par la force de tes silences, à relativiser.

Mais n'idéalisons pas. Tu n'as pas qu'un esprit. Tu as aussi un corps. Force est de constater que nous ne sommes pas de la même espèce. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment tu oses t'exhiber. Pourquoi dresses-tu ta queue, pour me montrer la partie de ton anatomie, dont je laisse la description au ministre de l'Économie ? Je suppute que tu sois tout aussi interpellée quand tu me surprends à gesticuler sans raison, toi qui prends le plus grand soin à mesurer le moindre de tes mouvements. Si tu ne montrais pas ton habilité à sauter du buffet à la table de salle à manger, je te prendrais pour une astronaute écrasée par l'attractivité.

Tu n'es toutefois pas dans l'incapacité à me communiquer tes envies. J'ai appris depuis longtemps la déclinaison féline. Ton langage nuancé est plus facile à décrypter que des phonèmes exotiques qui me seront à jamais étrangers. Tu me soules de tes miaulements auxquels je suis devenu accro. Tu sais me droguer par la force de tes vocalises contre lesquelles je ne peux pas lutter. Tu es ma sirène adorée. Je suis incapable de résister à tes appels quand tu réclames ta pitance où que, par un miaou furtif, tu exiges à ce que je laisse tout tomber pour venir te câliner.

Tu as été assez sage pour rompre ton pacte d'exclusivité. Tu as accepté d'élargir le cercle restreint qui nous lie et invité ma fille à nous rejoindre. Tu ne peux que t'en féliciter quand deux paires de mains viennent prendre possession de ta toison. Je ne peux que te remercier sur ta médiumnité qui fait qu'à ce jour tu sois le vecteur qui m'unit à ma chérie.

On ne me retirera pas l'idée que tu n'aies débarqué que par le seul fruit du hasard. J'ai la folie de penser que la destinée nous ait fait la grâce de nous rapprocher. Comment en serait-il autrement alors que j'en arrive à prier pour toi ? Je sais que tu n'es pas éternelle. Viendra le jour où tu estimeras que ta mission de me protéger est terminée. Sois déjà assurée, au même titre que Griotte qui t'a précédée, que je ne remercierai jamais assez pour toute l'affection que tu m'as apporté.

J'en ai terminé de te coucher sur le papier pour l'éternité. Au même titre que tes ancêtres qui vécurent parmi les Égyptiens de l'Antiquité, te voici désormais déifiée.

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