Julio, lutin 2.0

ella

Joyeux Noël !

Noir. L'appartement tout entier était plongé dans le noir le plus complet, à l'exception du salon faiblement éclairé par la guirlande lumineuse du sapin. Mais l'obscurité nocturne ne semblait pas poser de problème à la petite créature qui s'infiltrait dans l'habitation.

Vêtue d'un haut à manches bouffantes initialement vert pomme mais rendu gris par l'heure tardive, d'un pantalon large couleur sapin et d'un bonnet à clochette jade d'où dépassaient deux oreilles pointues, elle portait sur son dos un sac en toile émeraude, gonflé à en craquer par un mystérieux contenu.

Oui, l'intrus aimait le vert. C'était même sa couleur préférée.

La silhouette, menue et d'une taille ridicule pour son âge –cent quatre-vingt une fraiches années- agrippa le rebord de la fenêtre où elle était perchée et, d'un mouvement aussi élégant que discret, se hissa à l'intérieur de la pièce surchauffée. La traversée de la vitre lui fit un peu tourner la tête, mais la fibre dématérialisante dont étaient imprégnés ses vêtements avait amorti le gros du choc. Du reste, être rattrapé par un moelleux canapé en tissu beige peut faciliter la reprise des esprits.

Une fois que le monde eut arrêté de tanguer, l'arrivant se releva pour déposer son lourd chargement sur le tapis bariolé situé juste devant le canapé. Il remercia mentalement le LRN – le Laboratoire de Recherche de Noël – d'avoir permis l'avancée fulgurante de la technologie de fin d'année : grâce à cela, son sac de toile contenait deux fois plus qu'un banal sac de même taille. L'inconnu avait ainsi sur lui de quoi satisfaire les familles de tout le pâté de maisons.

Du sac en toile, le petit être extirpa cinq paquets de tailles diverses, enveloppés de papier doré. Il s'agissait des cadeaux de la famille R. Car oui, le rôle de cette créature, qui portait le nom chantant de Julio – prenez garde à prononcer le ‘j' comme un ‘r' guttural, à l'espagnol, il s'énerve sinon – était de déposer en cette nuit de Noël les cadeaux que chacun avait commandés au pied du sapin. Le Père Noël ne pouvant plus assurer seul la distribution des milliards de foyers terriens, l'ILN –Institut des Lutins de Noël, de qui dépendait Julio - l'épaulait dans sa tâche.

En effet, les choses avaient bien évolué depuis la nuit des temps. Si l'histoire du gros bonhomme rouge volant dans un traineau tiré par des rennes avait été véridique autrefois, aujourd'hui le Père Noël ne faisait plus que superviser le dépôt des présents. Aujourd'hui, les lutins se chargeaient du déplacement. Et, au lieu de traineau, c'était de combinaisons leur permettant de traverser la matière qu'ils étaient équipés. Certains avaient aussi des lunettes infrarouges pour mieux voir dans la nuit. D'ailleurs, l'exploitation de rennes était désormais interdite par SPCE, Société Protectrice des Créatures Enchantées. Même le pays de Noël avait sa SPA.

-Bon Julio, c'est pas comme si on avait toute la nuit non plus, s'impatienta une voix dans l'oreillette du lutin.

-Ça va Elisa, j'arrive !

Elisa était la pilote de Julio, qui s'occupait de l'amener aux maisons en début de soirée puis de lui permettre de rentrer chez lui lorsque l'aube tombait. Elle avait de grands yeux noirs, pareils à ceux des chats, de courts cheveux roses et sa peau était halée – non pas par d'incessantes séances d'UV mais par des origines orientales. Contrairement à son coéquipier, elle était plutôt grande pour son âge – un mètre soixante-dix pour cent quatre-vingt-trois ans- et assortissait volontiers plusieurs couleurs pour sa tenue. Ce jour-là, elle avait associé un haut violet avec un bas blanc, ce qui était plutôt réussi.

Julio déposa les cinq paquets dorés au pied du sapin illuminé de guirlandes, boules et autres décorations. Il veilla à ce que chaque nom soit bien visible pour que la petite famille ne se trompe pas de cadeau, croqua dans un chocolat laissé gentiment à disposition par l'un des enfants puis retourna à la fenêtre. La petite clochette de son bonnet tinta lorsqu'il traversa la vitre, mais cette fois, sa tête ne lui tourna pas.

Enfin, il remonta dans le vaisseau aux côtés des boucles roses d'Elisa. Alors que les lumières s'éloignaient, il ne put s'empêcher de passer la tête par la fenêtre pour lancer à la ville endormie un tonitruant :

« Joyeux Noël ! »

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