Justine

virginiet

Mes cheveux font des nœuds au dessus du bottin. Je passe un stylo dans une mèche, l’enroule, forme une boule, l’angoisse masquée derrière une tignasse emmêlée. Je ne comprends pas, le bottin ne m’indique rien. Est-il troublant ? A-t-il mal au ventre, aussi, au premier rendez-vous ? Va-t-il me parler, rester silencieux ? J’ai alors posé mes grosses lunettes, cessé de parcourir les pages jaunies par le temps, pour entourer de rouge, sur un vieux plan de métro un périmètre de rencontre. Le faux plan. Je jette mon dévolu sur le sixième arrondissement, Saint Germain. Avec un peu de chance, je croiserai des écrivains.

Il est 15 heures 32 minutes 48 secondes, il pleut des cordes de secours, des nattes envoyées de la plus haute tour de la citadelle.

Nous avons rendez-vous dans une heure. Je n’aime pas sortir de chez moi, c’est comme un douloureux coup d’envoi. La confrontation, le combat, baisser les yeux sous les regards lourds et tendancieux, ramener sa jupe devant les genoux, soulever suffisamment les pieds, essayer d’avoir une démarche élancée, sans penser aux deux boulets de canon sous les talons. Me coiffer, laver la frange, chaque matin, choisir un vieux pull parce qu’on s’y sent bien, un peu de rouge sur les lèvres, histoire de cacher mes peines.

Je marche sous les arches du métro aérien avant de m’affaler à une petite table de bistrot, tremblante, tapie comme une petite souris suicidaire. J’ai peur d’y aller, je préfère prendre un café. La tasse est déjà vide, le café a laissé des petites cornes jaunes aux coins de ma bouche. Un énième café, s’il vous plait. Je peux m’exciter avec un verre de lait. Je jette, au dessus de mes lunettes, des regards inquiets à mes voisins. Je sens leur haleine caféinée, leurs échanges d’angoisses sous la pluie qui éclosent comme de gros champignons de Paris. Le fond de ma tasse est un ciel caramélisé, je le rencontre dans 15 minutes. Peut-être n’aurais-je rien à lui dire ? Je pense pleurer, je pense très peu sourire, on-n’est-pas-là-pour-rigoler, il faut rester mystérieuse. C'est à lui de toucher le point sensible. Je sors mon carnet et gribouille quelques mots qui me passent par la tête, je fais une petite liste, d’association d’idées et de maux. Il faudra lui dire. J’aime et je déteste, j’ai voulu vous voir, pourtant j’en ai tellement peu envie. Je veux vous parler, mais je n’ai rien à vous dire. Je paye le garçon, je glisse hors de ma chaise, lisse ma jupe d’un revers de la main et fais cliqueter mes talons en direction de la rue Dufour. Là-bas, j’oublie son nom, qui est-il déjà, je demande aux commerçants du coin...C’était à côté d’une pharmacie, je n’ai pas le code, je ne vois pas son nom…J’ai oublié, je fais de la dyslexie. Je fais le tour de la rue Dufour, je tourne les talons, mes petits talons hauts qui font clic-clac. L’heure tourne aussi, Je vais arriver en retard, ça fait mauvais genre, ça fait mauvaise mioche. Finalement j’appuie fort sur un interphone :

-         Bonjour, excusez-moi, j’étais perdue, enfin je vous ai perdu, je ne suis jamais en retard d’habitude, ou si, un peu, mais pas autant, nous pouvons quand même nous voir ?

-         Entrez.

J’entre, essoufflée, mon chignon défait, les cheveux rincés par la bruine, la jupe toute retournée, les yeux au beurre noir. Je laisse mon carnet au fond du sac, mais je vide mon sac de paradoxes. Il me parle beaucoup, la boite de kleenex est ridicule mais ses mots sont comme des petites renoncules venant fleurir un quotidien.

-    Merci docteur, à la semaine prochaine, même heure.

Je dévale les escaliers, je laisse les parapluies s’ouvrir comme des champignons de Paris aux premières gouttes de pluie, et tente de ramasser quelques renoncules, ça et là. J’en envie de rentrer en bus, pour voir Paris défiler, chercher la vie derrière les vitres. Assise à côté de moi, sous l’abribus, il y a Justine Lévy, belle et mystérieuse, grande et élancée, légère même avec des talons. Sur son visage aussi, il y a des marques de temps. Dans le reflet de ses yeux noisette je me suis vue. Je l’observe, elle me regarde et on se sourit comme un signe qu’on invente à deux en jouant au kem’s. Ses livres, parmi d’autres, empilés sur ma table de chevet, sont des antitodes, des médicaments que l’on prend en masse, quand vient le soir.

Sans le savoir, je voulais venir au rendez-vous que nous n'aurions jamais.

Je me dis que la vie continue quelquepart, sans que le fossé entre les deux mondes soit un vide, soit une prise de rendez-vous rue Dufour. Il faut jongler, sauter, à cloche pieds entre ces deux hémisphères. On manque de tomber, de perdre l’équilibre mais il n'y a qu'un pas entre.

C’était celui-là mon vrai rendez-vous.

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