La beauté de l’instant

Marcus Volk

C'est la fin de la semaine. Semaine de merde. Paris se prépare aux JO, certains carrefours sont fermés, le Pont de l'Alma par exemple ; ça devient un beau bordel. Déjà. Mercredi… j'ai mis 6 heures (26 km) pour accéder à mon client, qui m'a fait déplacer pour une intervention qui a duré 10 min. Bref.


J'avais abandonné le projet de quitter Paris, 14 ans que j'y traine. J'ai déjà travaillé à Marseille, Aix-en-Provence, Montpellier, Bordeaux. J'y retournerai bien. Par WhatsApp, Georges, un client devenu un copain qui navigue entre Dubaï, Londres, Athènes essaye de me convaincre… Courir après mon TGV, patienter dans les salles d'attente des aéroports… Non. Je préfère rester en France.


Donc : rentré chez moi. J'ignore les mails qui tombent : client qui demande l'adresse IP de son serveur Bim, client qui pleure, serveurs à mettre à jour… Je gère un porte-feuille de 800 serveurs. Ce we je suis d'astreinte ; impossible de m'éloigner très loin de Paris. J'échange néanmoins les dernières consignes avec mon ingénieur binôme, qui est content de passer la main. Epuisé.


Et, enfin : terrasse, une bière, le casque, play-list aléatoire. Je décompresse. 


J'ai pas faim. J'avais préparé hier soir une salade composée, mais finalement je suis tellement claqué que je n'ai pas le courage de manger.


Je relis cet étrange message reçu à 17h36. Avec ce contact nous n'échangeons habituellement rien, elle est dans dans ma liste ; je la lis, elle me lit, commente rarement. Je suis d'humour jouasse, je lui propose qu'on s'appelle. Elle décline, aucune témérité, encore un truc à travailler (private joke). Et cet autre contact, masculin cette fois-ci, pudique comme nous les hommes, le sommes entre-nous, sachez Mesdames, que nous ne parlons pas entre nous de vous… eh oui, un mythe s'effondre.


Alors j'attaque mon rituel du soir, un léger soin Reiki pour faire le vide en moi. Et la douche. Je la monte doucement en température, laissant les multiples jets me fracasser la nuque, le visage, le torse, le reste du corps… J'ai besoin de ce rituel, de me nettoyer de toute cette pollution.


Les 2 mains arc-boutés sur le carrelage, je pense à toi. Je ne t'ai jamais rencontré. Rêvé plusieurs fois cette rencontre. Au vent. Rêves sages. Très sages, tu n'imagines même pas. Avec toi je ne veux rien d'autre que la beauté de l'instant. Je ressens ton âme qui me déshabille. Qui me passe au scanner de ton regard laser. Qui me met à nu.


« Je ne te l'ai jamais dit, mais nous sommes immortels » Bashung distille de sa voix suave ses paroles… « Mortels, mortels, nous sommes immortels… » … « As-tu vu ces lumières, ces pourvoyeuses d'été Ces leveuses de barrières, toutes ces larmes épuisées… ? » ... « As-tu senti parfois que rien ne finissait ? Et qu'on soit là ou pas, quand même, on y serait »

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