La belle échapée du perfecto troué
le-cariboo
J'émerge d'un profond sommeil, assommée par l'alcool. Où suis-je? A travers mes yeux floutés par la fumée exhalée des cigarettes et du shit qui tournent inlassablement, je devine des ombres qui s'agitent en silence. Je me réveille doucement de mon enivrante torpeur et m'aperçoit que quelqu’un dort sur mon épaule. Je le rejette avec le peu de force qu'il me reste. Il me lance un "Oh, tu fais chier..." et retombe lourdement de l'autre côté du sofa. Son haleine pue l'alcool. J'ai soudainement envie de vomir. Tous mes sens se multiplient. Le bruit des basses paraît plus profond qu'à mon arrivée, le velours rouge du canapé sur lequel je suis avachi est beaucoup plus doux, comme un nuage qui aurait accueilli ma dépouille. Les rires de filles qui se laissent toucher par des mecs défoncés semblent plus perçants et plus horripilants que d'habitude. J'attrape un verre de whisky-coca, vestige d'une personne qui l'avait laissé là. Je cherche Lucas mais Lucas n'est pas là. Les basses se mêlent à mon cœur qui bat de plus en plus fort. Je reconnais ce son. Crookers, "We love animals". Un couple s'embrasse sur le fauteuil en face de moi. Je décide de me lever, ici tout a changé. Je comprends que mon ivresse m'a fait m'endormir quelque temps. Je regarde l'heure. 2h00. Mes yeux se baladent dans la pièce. Des gens chantent, dansent, sous ecsta, sous coc, sous alcool, ils ressemblent tous à des pantins, possédés par la musique. Je dois leurs ressembler. Je décide de me lever pour chercher Lucas. Je veux rentrer. Je comprends que mon état d'ébriété est déjà à un stade très avancé; ma tête est lourde, je ne me rappelle plus de ce que j'ai consommé. J'avance doucement, vacille à plusieurs reprises, trébuche sur un mec qui gisait au sol. Je rejoins le couloir, regarde partout, pas de Lucas. Un des pantins essaye de m'agripper pour m'embrasser. Je le repousse. Je l'entends dire "pétasse de sainte nitouche". Je ne tente même pas de rétorquer. Je m'en fou. C'est Lucas que je cherche. Soudain, en baissant les yeux au sol, je devine son perfecto noir, celui que nous avions trouvé ensemble aux puces, magnifique, clouté, troué, usé. Ce même perfecto où je m'étais lovée un soir de pluie, sous cet arrêt de bus place de la Révolution. Ce même soir où il m'avait dit "je serai toujours là pour toi". Son odeur légèrement teinté de cigarette, ses bras qui s'étaient enroulés autour de ma taille pour me réchauffer, tous ces gestes effectués et répétés depuis l'enfance. Mon meilleur ami, mon frère. Je tourne la tête à droite de la veste de cuir et découvre cette porte entre-ouverte. J'ai peur de l'ouvrir, une voix au fond de moi me l'interdit. La musique devient de plus en plus assourdissante, et cogne toujours autant contre mes tympans. Les battements de mon cœur cognent sans relâche et mes mains deviennent moites. J'ai peur de voir ce que je sais. Je pose doucement ma main sur la poignée. J'hésite encore une éternité de seconde, puis j'ouvre la porte. Lucas est là, dans les bras d'une blonde aux jambes infinies. Je suis sûr qu'elle sent la vanille. Lucas adore l'odeur de la vanille et cette pouffiasse ne le sait même pas. J'ai le temps de voir qu'il est déjà sur elle, elle ne porte plus de soutien-gorge. Je referme la porte, ils ne m'ont pas vu. Je ne saurais exprimer le sentiment que je ressens à cet instant précis. Je ramasse le perfecto magnifique, clouté, troué, usé. Comme notre amitié. Je le donne à un mec qui vomi par terre en lui lançant :" Tiens, essuies-toi avec". Je sors de l'appartement, sans un mot tout en m'allumant une clope. Je sens que ma vision se trouble. Est-ce toujours la fumée des cigarettes? Je descends les escaliers à toute allure, hale un taxi, m'allonge sur la banquette et laisse mes pensées défiler. Je repense à mon enfance bercée par les rires de Lucas, les dimanches dans le bar de ma mère, les jeux qu'il inventait pour nous deux, notre pacte d'amitié "à la vie, à la mort", nos vacances dans sa maison en Italie, nos premiers amours, les secrets dans la cour de récré, les regards chargés de complicité, nos premières boums, les soirées au téléphone à nous raconter comment c'était, nos premières cuites, les cris perdus dans l'obscurité, cette fois où il m'avait sauvé la vie, ses yeux noirs profonds, lui à l'intérieur de moi, je me souviens, il avait dit "c'est une erreur, nous c'est une histoire d'amitié, pas d'amour, pas de cul. Oublie ma chérie". Ma chérie, tu parles. Assise dans ce taxi, avançant lentement dans le noir pénétrant de la nuit, ma tête posée contre la vitre je comprends doucement que l'amitié fille-garçon n'existe pas et je me pose cette question: "Est-ce que la fille blonde aura le droit de se cacher dans son perfecto?".
Merci beaucoup, c'est vraiment touchant :) c'est grace à ces petits mots que l'on trouve le courage de continuer à écrire! Je promets de le repofiner très rapidemment et de te le faire partager !
· Il y a plus de 13 ans ·le-cariboo
Je suis amoureux de ce style, je suis vraiment impressionné. L'une des meilleurs choses que j'ai pu lire que Welovewords. Coup de cœur et je partage.
· Il y a plus de 13 ans ·slive
Merci, mais je ne l'ai pas encore fini ! Dans tout les cas, ça fait toujours plaisir ces petits encouragements :)
· Il y a plus de 13 ans ·le-cariboo
J'aime beaucoup ! Bravo !
· Il y a plus de 13 ans ·mls
Merci ma petite Clairon. Et j'ai un perfecto figure toi! Celui de ma mère, tout comme les Dock Martins que je lui empreinte à l'occas.. Le texte est encore a travailler mais, grâce à toi, je suis armée de courage pour les mois à venir !
· Il y a plus de 13 ans ·le-cariboo
Et bien c'est fracassant, la petite Cariboo en talon moumoute se lâche avec un perfecto complètement arraché ... J'AIME ! Continue !! Pour quelqu'un qui n'écrit jamais c'est vraiment SUPER !! Je vais te traîner par la peau des fesses jusqu'au PIJA !!
· Il y a plus de 13 ans ·la-tete-en-neige