La blague inouï !

pierre-m

C'est vendredi, j'ai une blague inouï !

Ha la poisse ! Enfin non j'exagère, mais à peine. Je poste ce billet du fond d'un TGV InOui en direction de la Bretagne, avec une connexion wifi qui fonctionne étonnamment bien, inouï même ! Le train fonce dans la campagne. Nous sommes vendredi, il est 8h47 et la poisse ! Vous savez, celle qui vous colle dès le matin et qui ne vous lâche plus de la journée, comme un bout de scotch collé aux doigts. On le décolle mais il reste collé aux doigts de l'autre main et ainsi de suite. C'est pas la fin du monde mais putain, ça colle ! De toute façon cette journée ne pouvait pas bien démarrer. Une agence de com' m'envoie en reportage sur des machines agricoles dans une forêt en Bretagne. J'avais un train à 6h57 pour Saint-Brieuc au départ de la gare Montparnasse ce matin et j'ai mis mon réveil à 5h10. Je fais l'aller-retour dans la journée.

Je relis cette phrase et d'emblée j'y vois deux problèmes, premièrement 5h10, franchement ça pique un vendredi mais passons, j'ai bien dormi et je me suis réveillé facilement ; deuxièmement, et c'est sûrement l'époque qui veut ça : je rêve de campagnes et de forêts en ce moment, dès que le vendredi pointe le bout de son nez à vrai dire - tout le temps, j'y pense tout le temps. J'ai envie (besoin ?) de me mettre au vert, sans bien sûr pouvoir y aller (je travaille en freelance et je paye un loyer à Paris autant dire que je n'ai pas les moyens de filer à la campagne le week-end), mais pourtant aujourd'hui je pars en forêt ! Au vert – Into the Wild –, enfin bref en Centre-Bretagne, le kiffe ! Mais pour faire un reportage sur des machines agricoles et forestières (pourquoi ?) J'aurais préféré un reportage sur les druides, les vieilles charrues, des rongeurs,…enfin bon les machines, après tout je ne vais pas me plaindre, en plus c'est bien payé.

Et ce matin nickel, vraiment, j'avais préparé la cafetière à l'avance hier soir et en sortant du lit je n'ai eu qu'à appuyer sur le bouton et hop sous la douche ! L'eau était bien chaude, avec de la pression, impeccable ! Rien à dire de ce côté-là ; de retour dans la cuisine le café était prêt, bien dosé (un café solidaire de la marque Malongo fait par de petits producteurs Boliviens qui figurent en photo sur la boîte en métal, acheté pour seulement quatre euros vingt au Franprix en bas de chez moi), ni trop fort ni trop passé, bien corsé comme je l'aime, autosatisfaction, bravo ! Puis je me suis habillé rapidement (tout était prêt), j'ai fait mon sac et j'ai claqué la porte de chez moi (enfin sans trop la claquer pour ne pas réveiller tout le monde, je n'habite pas seul, c'est juste une image) et là il était 5h43 pour un train à 6h57. J'avais 20 bonnes minutes d'avance sur mon planning prévisionnel. Une heure et quatorze minutes pour aller de chez moi dans le 20ème jusqu'à la gare Montparnasse. Parfait. J'ai donc pris la direction du métro, à la cool, mais alors vraiment à la cool. Il ne pleuvait pas, il ne faisait pas froid pour un mois de mars. J'étais largement en avance pour attraper mon train et de bonne humeur après une bonne douche et deux excellentes tasses de jus noir. C'est après que tout est parti en vrilles…

Un peu trop décontracté, j'ai relâché l'attention et loupé la correspondance dans le métro à la station Réaumur-Sébastopol de la ligne 3 pour la ligne 4 que je devais prendre pour me rendre à la gare Montparnasse. Pas très grave me dis-je, je suis descendu à la station suivante : Sentier. Là j'ai sauté sur le quai, monté un escalier, traversé un couloir, descendu un second escalier de l'autre côté ; une fois sur le quai d'en face un nouveau métro est presque aussitôt apparu et hop demi-tour : retour à Réaumur-Sébastopol ! Je me suis alors tranquillement dirigé vers le quai de la ligne 4 qui devait me transporter directement jusqu'à la gare Montparnasse, le tout en moins de dix minutes. Je suis monté dans le métro et me suis assis. Il n'y avait encore personne à cette heure matinale alors j'ai entrepris la lecture des actualités sur mon smartphone : « encore trois gilets jaunes qui perdent un œil, la police tire à vue sur les manifestants ; Sérotonine, le nouveau roman de Michel Houellebecq toujours en tête des ventes ce mois-ci,… »…et lorsque je relève la tête je vois que nous sommes déjà à la station Gare de l'Est…Gare de l'Est ! Mais pourquoi ? Non ! Je me suis trompé de sens me dis-je et je pars vers le Nord !

Putain j'y crois pas, c'était il y a à peine deux heures et ça me semble si loin déjà. Enfin bref, j'ai sauté sur le quai du métro, à Gare de l'Est, pour la seconde fois en même pas vingt minutes, et j'ai couru, monté des escaliers d'un côté. J'en ai descendu de l'autre (traversé par une forte impression de « déjà vu ») et j'ai réussi à attraper un nouveau métro dans la bonne direction cette fois, dans l'autre sens quoi, le bon sens ! J'ai relevé la tête et compté : 13 stations ! Pour Montparnasse. Là, mon avance venait de se transformer en retard. L'abruti me dis-je…mais enfin bon, ça promettait d'être juste, mais ça promettait encore. A cet instant il me semble avoir pensé que c'était seulement la seconde fois que cette agence m'envoyait en reportage et que si je loupais ce train ça serait aussi la dernière, moi qui me faisais un kiffe de partir tous les mois pour une journée de reportage en région.

Pour me rassurer je me suis mis à compter les secondes entre chaque station, et d'habitude je compte aisément 50 ou 60 secondes voire beaucoup plus mais aux alentours de 6h30 le métro file comme une flèche. Il n'y a personne sur les quais et il ne se passe pas plus 40 secondes entre chaque station. Ça peut même descendre à 30 secondes si les stations sont proches l'une de l'autre. Je calculais de tête : à ce rythme j'allais arriver à la gare vers 6h45 pour un train à 6h57. C'était jouable, rassurant même, mais pour me rassurer encore plus j'ai sorti mon billet de train de la poche pour vérifier tous les détails (on n'est jamais trop prudent dans ces cas-là) : l'horaire, la voiture, le numéro du train tout y était et j'ai lu : « inOui », merde non ! Pas un TGV inouï ! Les nouveaux TGV inOui (je n'ai pas encore tout compris au concept. Si je m'en tiens à la synthèse trouvé sur Google : inOui est une nouvelle expérience enrichie, confortable, connectée et personnalisée de la SNCF. Contrairement à OuiGo qui est le nom de l'offre low-cost). Le problème c'est que (et au moment où j'y pense je ne suis plus très sûr mais impossible de vérifier sur internet car je suis dans un long tunnel et aucun signal), le problème donc c'est que les TGV inOui, (à moins que ce ne soient les OuiGo, vraiment au moment où j'y pense je ne sais plus, enfin bref certainement cela concerne les deux nouvelles offres de la SNCF), hé bien, ces nouvelles offres, ces nouveaux trains en fait pour être précis, partent du hall 2 de la gare Montparnasse (ça vous pouvez le noter si vous prenez un jour un TGV de Paris pour la Bretagne), les TGV Inouï, (à moins que ce ne soient les OuiGo uniquement, il vaudrait mieux vérifier) partent du hall 2 Pasteur, qui est à au moins 15 bonnes minutes à pieds du hall 1 et certainement au moins 20 minutes en fait de la sortie du métro. La galère inouï ! Il faut passer par des couloirs, des tapis roulants, des escalators, s'ils fonctionnent. On dirait un parcours du combattant dans l'une de ces émissions de téléréalité qui passent en boucle sur les dernières chaines de la TNT. Si vous voulez une image, le hall 2 Pasteur de la gare Montparnasse se situe plutôt du côté de la gare de l'Est.

Finalement j'arrive à la gare Montparnasse, au Métro de la gare Montparnasse pour être précis. Je regarde ma montre. Il est 6h46. Mon train est à 6h57. Si mon TGV part du hall 1 je peux l'attraper, peut être ; s'il part du hall 2 Pasteur c'est mort. Je saute donc de la rame de métro, je cours, à perdre haleine, je bouscule tout le monde, pardon ! Et je prie intérieurement, et je cours encore, comme un fou, littéralement (putain c'est vachement loin ! me dis-je). Je monte puis descends des escaliers pour débouler dans ce putain de couloir interminable (désolé pour les jurons mais il n'y a pas d'autres mots) avec ces putains de tapis-roulants sans fin qui vous transportent sur plus de quatre cents mètres comme des vaches à l'abattoir d'un bout à l'autre de la station Montparnasse (tout le monde connaît ce couloir et tout le monde déteste ce couloir, c'est un truc de dingue, même les catacombes sont plus avenantes), enfin je cours encore et encore et j'arrive à la gare dans le hall des grandes lignes. (C'est pas trop tôt, pensais-je.) A cet instant je balaye l'espace du regard à la recherche d'un écran d'information, de la moindre indication, mais d'où part mon train ? Mais pas d'écran, nulle part, aucun panneau, juste des travaux et des escalators ! Encore ! Donc je monte, je monte et lorsque je trouve enfin un panneau (à cet instant il y a un cierge virtuel qui s'allume dans ma tête : s'il te plait ! Jésus Christ ! Si tu existes c'est à toi de jouer car il va me falloir un putain de miracle pour attraper ce train maintenant) Je lis attentivement et je vérifie, et…ouf ! Il me reste 5 minutes et mon train. Double ouf !! part du quai 22 Hall 1,…Triple ouf !!! Je suis juste devant le quai en question, le quai 22 et il me reste encore,…Je regarde ma montre : 4 minutes. Instant magique ! Je suis de nouveau en avance,…enfin, à l'heure.

Je souffle de bonheur.

Je ralentis le pas, heureux.

Je prends même le luxe d'aller composter mon billet, qui aujourd'hui, je le remarque, n'est pas électronique, d'ailleurs pourquoi ? Et pourquoi cette borne de compostage ne fonctionne pas ? Et pourquoi j'entends ce signal qui me dit que le train va partir ? « Les portes ferment 3 minutes avant le départ du train », m'annonce une voie nonchalante depuis un haut-parleur. (Ça c'est d'une connerie ! À quoi ça sert ! Vraiment ? Dites le nous ! À part foutre les boules aux passagers qui arrivent sur le quai avec 2 minutes d'avance : désolé mais trop tard, votre train est là, il ne bougera pas pendant encore 2 minutes mais trop tard !) J'ai déjà vu des gens pleurer, littéralement chialer sur le quai devant un train à l'arrêt, leur train à quai, immobile, nous dedans, eux dehors et non, vous ne monterez pas dedans, question de sécurité. Mais donc pour moi à cet instant c'est encore bon, je cours (encore) et je saute dans la voiture numéro 5, in extremis, et la porte se referme derrière moi, puis le TGV se met en branle (au bout de 3 minutes interminables) et quitte douloureusement le grand hall 1 de la gare Montparnasse…

 Je suis dedans !

Je suis dedans !!! Pas dans la bonne voiture mais on s'en fout. Je suis dedans !!!

Je vais donc m'assoir (m'affaler) dans un siège libre afin de m'éponger un peu. Je suis en nage mais tout va bien, tout va bien puisque je suis dans mon train en direction de Saint-Brieuc pour mon reportage en Bretagne !

J'écoute avec délectation la voix de l'hôtesse de bord égrainer le nom des villes qui longeront notre parcours : Rennes, Vannes, Lorient, Rosporden et Quimper…ha Quimper ! Et…Et ? Et c'est tout ? Et Saint-Brieuc !?! Et Saint-Brieuc meuf ! Pourquoi pas Saint-Brieuc ! Non ! Ce n'est pas possible ! Je me suis trompé de train ?!!

Là j'ai une forte envie de crever. Je suis à l'heure, malgré tout, dans le train de 6h57 pour la Bretagne, mais pas dans le train de 6h57 pour Saint-Brieuc, mais dans UN train de 6h57, un AUTRE train de 6h57 au départ de la gare Montparnasse pour la Bretagne, pour d'autres villes de Bretagne ! Pour pleins de villes bretonnes mais pas Saint-Brieuc ? Ha les fils de putes ! me dis-je,…

Sur ces pensées, je pars, effondré, à la recherche d'un contrôleur sur lequel pleurer ; et que je trouve assez rapidement d'ailleurs.

Je l'approche, tremblant, le regard battu et la voix rauque : « Je me suis trompé de train non ? » lui dis-je en lui tendant mon billet.

Le contrôleur – roux, sympa, souriant, concerné –, examine mon billet avant de me rendre le verdict – neutre, froid, implacable : « Ha oui ? Vous vous êtes trompé de train…

— Non !

— Si !

— Ha merde !

— Oui comme vous dites. (Je le vois pourtant qui hésite avant de poursuivre.) Enfin de train,…non ! Plutôt de voiture en fait…

— Pardon ?

— Oui, de voiture, me répond-t-il l'air insouciant. Je m'explique. Il y a deux trains collés l'un à l'autre, et vous êtes dans le mauvais train et pas dans le mauvais train non plus.

— Quoi ? Je ne comprends pas.

— Oui, le second train à l'arrière, celui dans lequel nous nous transportons, desservira les gares de Rennes, Lorient puis Quimper, tandis que le premier train,…le train de tête qui est l'avant desservira, quant à lui, les gares de Rennes, Lamballe, Saint-Brieuc, Guingamp, etc. et la bonne nouvelle c'est que vous allez pouvoir changer de train à Rennes lorsqu'ils les décolleront,…les trains.

— C'est pas vrai !

— Si-si, c'est vrai ! Pas de problèmes vous pouvez vous installer et profiter du voyage tranquillement, m'envoie t-il un large sourire en travers de la face.

— Ha mais ouf ! lui rétorquais-je.

— Mais n'oublier pas de changer de train,…,à Rennes, vous aurez 3 minutes pas une de plus.

— Ha mais merci ! Merci ! Merci ! Mais c'est pas bien de faire la blague des « trains collés. »

— Oui je sais, vous n'êtes pas le premier à nous dire ça, mais on est un peu taquins à la SNCF…

— Oui un sens de l'humour inouï !

— Hahaha !

— Hahaha !

 

PS : C'était la blague inouï des « trains-collés » mais je crois que je vais la raccourcir un peu.

 

 

  • Cela est arrivé à tous ceux qui voyagent un peu pour leur boulot de se tromper, de train, de gare, d’avions, d’heure, etc. Dans ces moment stressants, dans une panique notre cerveau tourne à cent à l’heure, mais avec l’efficacité d’une psychologie de poule. :o))

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • Incroyable récit qui m'a fait courir en même temps que vous ! Il m'a vraiment tenu en haleine !! Bravo !!

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci c'est gentil

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo14 1

      pierre-m

  • Certaines galère finissent bien :-)

    · Il y a plus de 5 ans ·
    40405 (2)

    Lady Etaine Eire

    • Oui en fait il ne s'est rien passé... J'ai juste pris le train...

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo14 1

      pierre-m

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