la bourgeoise affriolante

FELIX VALLOTTON Une femme se coiffant

La bourgeoise affriolante nestor barth

Oh que cette mèche est agaçante. ! Vraiment rebelle ce matin. Je n'arrive pas à me coiffer correctement et il faut que cela advienne quand je dois offrir le meilleur de moi même. Je n'ose pas penser ce que Momo va penser en me voyant ainsi. Diable, cette mèche me pourrit la vie. Qu'a t-il dû déjà croire hier quand il m'a aperçu, dans la rue, pressée par le temps, en passant devant lui. Je devais être en transpiration, pressée comme je l'étais de rentrer.

Quel regard doux mais un peu coquin, c'est vrai, il avait en me fixant, et ce sourire en coin. Adossé au lampadaire, un mégot au coin des lèvres, la casquette de travers, un peu voyou je pense mais d'une beauté, un charme !

Son regard scrutateur m'a fait tourner la tête et n'ai pu m'empêcher de lui sourire. Je ne me suis pas arrêtée, bien sûr, mais le voilà qui m'a suivi. Mon cœur n'a fait qu'un bon quand, stoppée au bord du trottoir pour traverser, il m'a apostrophée : j'entends encore le :

« charmante, et demain même heure, midi, même endroit, je vous attendrai. Mon nom est Momo. »

Oh que cette mèche est irritante. Enfin y arriverai-je ?

Des pas dans la maison ?! Mais Charles est parti ce matin pour toute la journée. Qui cela peut-il être ?

une voix d'homme derrière la porte de la chambre.

Ma douce ?

Mon mari ? Mais pourquoi est-il ici ?

– J'ai oublié un document important, je ne sais où j'ai la tête ce matin. Puis-je entrer ?

Non mon ami ; je ne suis ni prête ni présentable.

Ma douce ! C'est nouveau. Charles ne sait quoi inventer. L'autre jour il a dit ma brioche ! Hier, ça c'est la meilleure, « ma cigogne » Je l'avais tancé quelque peu sur sa tenue négligée ! Il s'est moqué sûrement de mon nez. Il est vrai qu'il est un peu effilé et long , mais enfin, c'était une goujaterie de sa part !

Il faut pourtant que je fasse quelque chose à ce nez. Mais comment faire maintenant. Ce médecin que je suis allée voir la semaine dernière est un tel mufle ! N'a t-on pas idée, alors qu'il examinait mon nez et dessinait pour moi la forme qu'il lui voyait devenir après opération, j'ai lu dans ses yeux cette lueur perverse. Il m'a contourné et derrière moi il a posé ses mains sur mes épaules puis doucement les a descendues sur mes seins pour les caresser. Quel rustre ! J'ai quitté le cabinet furieuse. Certes j'ai ressenti sur l'instant de la caresse un friselis qui a parcouru ..

Germaine, puis-je me permettre de vous inviter ce midi au troquet du boulevard ? Ils font des tripes ce midi. Vous adorez je sais. Mon rendez vous d'affaires est annulée.

Mais non je ne peux accepter, et mon rendez vous avec Momo ?

Que faire , que dire ? Et cette boucle que fait ma mèche maintenant !

Mon ami j'ai déjà promis à ma sœur qui est souffrante d'être avec elle pour déjeuner.

C'est navrant mon trésor, je me faisais une joie d'être avec vous !

Je regrette aussi. Ce n'est que partie remise, voyez vous.

Je ne vous importune plus !

C'est cela mon ami, à ce soir.

Il est plein d'attentions mon mari. Cependant, ce n'est pas facile à expliquer. Il ne me regarde plus comme à une époque où la lueur coquine de ses yeux me faisait frémir ; il avait ce regard canaille que Momo m' a adressé hier justement. Et puis et puis... son attention est limitée. Certes il veut mon bien-être, ah oui c'est certain il est généreux et ne me refuse rien mais il n'a pas, en tout cas plus ce je ne sais quoi qui me fait .. vibrer ;

Et cette robe que je viens de passer, sa couleur n'est-elle pas un peu fade ;

la rose saumon que j'avais essayée tout à l'heure devrait finalement mieux me convenir car ce matin j'ai le teint un peu blafard.

Quelle heure est-il ? Voyons la pendule sur la cheminée : 11 heures. Comment puis-je y arriver, il est déjà si tard. Mon lit n'est pas fait !

Gertrude est absente aujourd'hui c'est son jour de congé et elle me laisse tout le ménage en plan !

Je ne vais jamais y arriver avec cette mèche !' Pourquoi me fait-elle ce mauvais tour ce matin ?

Ce rendez vous me titille, il est si beau, si charmant, ce Momo. Le frisson qui me parcourt... Une jeunesse retrouvée ou un fantasme ?

Cette mèche folle qui me défigure, n'est-ce pas indécent ? Non, décidément je ne peux ...

Mais... n'est-ce pas de bon goût d'être en retard ?