une grande Miss
Nestor Barth
Felix Vallotton
Madame Alexandre Bernh
« Une grande Miss » nestor barth
J'ai eu le grand privilège en 1956 de l'interviewer en son domicile de Bougival où elle devait décéder quelques temps après.
Son accueil fut des plus chaleureux, comme un ami, et ne serait-ce que pour cela, je lui en témoigne toute ma gratitude.
Elle me reçut dans une chambre coquette et cossue : un grand lit et une armoire style Empire, un petit bureau parsemé de livres et de lettres reçues et au bord de la fenêtre donnant sur un jardin fleuri, deux fauteuils d'un style incertain. Au sol un tapis persan aux motifs entrelacés sur fond d'un rose frais égayant l'ensemble de la pièce.
Elle me fit asseoir face à elle dans un fauteuil crapaud, le même que celui au bord duquel elle s'était assise pour être au plus près de moi, avide de m'entendre alors que mes lèvres et mon regard étaient friands de l'écouter répondre à mes questions.
Ses deux mains enlacées étroitement se frottaient l'une l'autre par moments pour accompagner les souvenirs qu'elle égrenait.
Ses cheveux touffus avaient pris la couleur du col de la fourrure dont elle était affublée. Il ne faisait pas froid dans cette chambre mais elle craignait ce froid qui enveloppe le êtres inactifs et que les os vieillissant font frémir de frissons.
Ses yeux intelligents me regardaient avec humanité et une pointe de jalousie pour la jeunesse que je représentais. Elle est toute fraîche et sa peau lisse rosacée reflétait une jeunesse jalousement conservée dans son cœur
--- Votre meilleur souvenir, Mademoiselle ?
--- C'est la valse renversante aux folies bergères avec Maurice en 1911 et mon épopée en 1917 en Allemagne pour faire libérer le caporal Chevalier du camp où il était prisonnier. C'était un arrêt, si peu mais si émouvant, de ma carrière.
--- Colette a dit de vous que vous étiez une « propriété nationale ». Quelle impression cela vous a t-il fait ?
--- Une grande responsabilité. Celle surtout de ne pas changer le style, ni mon répertoire de chansonnettes et rester la gigolette dans les rôles que j'ai interprétés au cinéma ou dans les revues musicales du Casino de Paris ou au Moulin Rouge. Le public ne s'est pas trompé, il a senti la gratitude que j'ai eue pour lui. Ce fut une grande histoire d'amour.
--- Jean Gabin a dit de vous que vous étiez la Miss des grandes revues qui ont fait accourir le tout Paris et que vous aviez les plus belles jambes du monde.
--- Je les ai toujours mais à 81 ans, elles ne me portent plus aussi bien..
( petit gloussement ).
--- Maurice vous a quitté pour Yvonne Vallée mais cela ne vous a pas empêchée d'atteindre le sommet de votre carrière
--- J'étais transportée dans un état second, sublimée et il fut difficile de résister aux assauts de la gloire que l'on me prodiguait à cette époque
entre1918 et 1928. J'ai réussi à surmonter les affres d'une célébrité mondiale en partie grâce à mon ami Georges.
--- Georges ?
--- Guétary. Quel ami divin ! Quel soutien dans mes douleurs, dans mes moments de faiblesse !
--- Qu'est-ce qui vous a impressionné le plus dans votre carrière ?
--- Le premier film parlant dont j'étais la vedette, Rigolboche, de Christian Jaque. J'avais déjà 61 ans, mère d'un enfant ! (Elle soupire) et de me voir chanter : « Oui j'suis d'Paris », « au fond d'tes yeux », « pour être heureux, chantez ». Ça c'est bien vrai !
--- Si c'était à refaire, me suis-je aventuré à lui demander ?
--- Ah jeune homme, si c'était à refaire ? Je prendrais des cours de danse, de comédie, de maintien, de chant et de culture générale; je sais tout cela mais voyez vous à force d'assiduité, comme ce fut le cas, en chanteuse comique, en gigolette je suis devenue la demoiselle nature qui a charmé tous les publics. Alors ?! c'était bien comme ça. J'ai été gâtée.
--- Mais vous aviez vous-même tellement gâté le public !Un regard de coté, cachant des yeux noyés d'où perle un pleur ; de joie, d'attendrissement, éternel.
Je pris congé ; difficile d'échapper au magnétisme de cette femme admirable, remué par la musique d'une Rumba d'Amour.J'ai eu le cœur serré et suis resté confondu pendant plusieurs jours à sa mort quelques semaines plus tard, mais aussi eu le rare privilège d'avoir vu, côtoyé et échangé avec une grande dame quelques unes de ses impressions sur toute une vie de l'artiste hors du commun qu'elle a été.
Salut Mistinguett.