La cabane au fond de la forêt
another-day
Quand j'étais petite, mon papa m'avait construit une cabane au fond de la forêt. Il avait assemblé des planches, enfoncé des clous, épongé un front brûlant de sueur : et finalement, il était venu à bout de cette cabane. Un matin, il avait masqué mes yeux de ses grandes mains d'hommes, et m'avait ainsi conduite au fond de la forêt. J'étais le Petit Poucet que son père accompagne pour la dernière fois ; sur un chemin sans retour.
J'ai grandi : la cabane, elle, est restée au fond de la forêt.
Je m'y rends tous les jours ; c'est un peu comme un rituel. Mon chemin se trace entre les arbres. Au fur et à mesure des années, la forêt, elle aussi, a grandi : les frondaisons sont devenues plus touffues, les buissons sont plus denses, les branches plus nombreuses.
Et pourtant, c'est comme si rien n'avait changé : l'atmosphère est toujours la même. La lumière demeure douce, rose et blanche à la fois. L'air est aussi fin et fragile que les ailes d'un papillon. Je pourrais presque détacher cette peau invisible qui s'étend d'un bout à l'autre de ma forêt.
Moi non plus, je n'ai pas changé. J'ai grandi, mais je suis toujours la même. Les gens ne changent pas. Ma cabane au fond de la forêt n'a pas changé.
Papa l'a construite très solide, résistante à tous les chocs et tous les météores. Elle s'érige, fièrement, entre deux noyers qui constituent ses points d'appuis. Je peux m'y tenir debout et tendre mes bras de tout leur long : ma cabane est grande, elle monte jusqu'aux étoiles d'après papa. Peut-être même jusqu'à Dieu, si je perce un petit trou dans son toit. La lumière se déverserait alors, liquide, de la couleur de l'hydromel, et je serais archange au royaume de l'éternité.
La cabane au fond de la forêt est faite de bois brut, de planches récupérées et de vieux clous : la cabane a une âme, tout comme la forêt autour d'elle.
A chaque fois, j'ai l'impression d'entrer dans un nouveau monde : plus d'hommes, plus de routes, de règles, d'heures pour manger, rien de tout ça. Il n'y a plus que le calme, les écureuils : la Nature reprend ses droits ; et je suis en osmose avec elle.
Je retire toujours mes chaussures avant de monter dans la cabane. Je retiens toujours mon souffle en montant à son échelle de cordes. Je ne sais pas pourquoi. J'ai peur d'avoir gardé un peu du moi impur en entrant dans la forêt. Un peu du moi civilisé. Et je ne veux plus de ce moi ici.
Je crois que Baudelaire aussi avait une cabane au fond de la forêt.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Ma cabane, ma forêt.
Et moi.
J'adore ! Elle me rappelle la cabane que j'avais construite moi-même étant enfant. Tu écris très bien :)
· Il y a presque 10 ans ·mlleash
Merci beaucoup ça me fait trop plaisir !!! Je n'étais donc pas seule à avoir une petite cabane pour m'occuper !
· Il y a presque 10 ans ·another-day
non non :) mais c'est un privilège de ceux qui ont grandit dans la "campagne" :)
· Il y a presque 10 ans ·mlleash
Ahah je suis bien d'accord :) !
· Il y a presque 10 ans ·another-day
Très beau
· Il y a presque 10 ans ·dreamcatcher
Merci beaucoup
· Il y a presque 10 ans ·another-day