La chair de la chair.
ttr-telling
Dans un ultime cri de défi, Serena donna la vie.
Une petite créature rose et potelée s'évertuait à prendre le relais de sa mère, pleurant à plein poumons, agitant ses petits membres pleins de vie.
Trois dames de chambre, triées sur le volet à cette fin, s'affairaient dans la pièce, fortes de gestes précis et sûrs, pour s'occuper du nouveau né et de sa mère épuisée.
Après s'être assurées que Serena n'était pas en danger, et que le marmot était en bonne santé, elles installèrent le nourrisson dans les bras de sa mère, avant de s'éclipser de la pièce chaudement éclairée par un feu qui crépitait gaiement dans l'âtre en pierre blanche.
Le poupon s'était rapidement apaisé dans les bras maternels, avant d'instinctivement chercher de son petit museau le mamelon nourricier.
Serena accompagnait son fils vers son sein, afin de lui offrir sa première tétée, les yeux remplis d'un amour insondable.
"Bonjour mon tout beau... Mon merveilleux fils... Bienvenue au monde, Donovan..." lui susurra-t-elle d'une voix douce.
Il affichait son plus beau pourpoint, d'un bleu aussi profond que le ciel nocturne, égayé de fils d'or et orné de boutons en ivoire immaculés. D'élégantes chausses en velours noir soulignaient des jambes athlétiques, plongeant dans des bottes de cuir fraichement cirées et brossées. Ses cheveux blonds étaient nouées en une natte ondulée, piquetée d'épingles serties de rubis.
Tout était en place.
La grand-salle de sa demeure était remplie des plus puissantes familles de la région, et même de certains marchands étrangers avec qui il avait réussi à tisser des liens plus que profitables. Il allait pouvoir, après avoir montré au monde sa réussite financière, exhiber sa réussite familiale.
Il avait encore du mal à réaliser. Il était père. Et d'un fils, de surcroit ! Il était arrivé au petit matin, après avoir passé une nuit à négocier des accords pour l'exclusivité d'import de marchandises exotiques. Il avait été accueilli par son fidèle valet, qui affichait un sourire dément, presque hébété par la joie d'avoir un nouveau Davis sur qui veiller. "Monsieur ! Madame vous attend ! Avec votre fils !". Flint avait veillé toute la nuit à l'entrée de la demeure, attendant patiemment le retour de son maître, laissant aux dames de chambre le soin de veiller sur Serena et Donovan. Il se souvenait encore de la sensation de vertige qui s'était emparée de lui lorsqu'il a entendu "votre fils". Il s'était alors rué droit vers la chambre que sa femme avait préparé à cette occasion.
Cela faisait quatre mois à présent qu'il était père. Il était temps d'exhiber sa fierté au monde. De présenter sa descendance, son héritier, son futur.
Il s'avança vers la rambarde qui surplombait l'espace dans lequel étaient regroupés les invités. Il affichait un air conquérant. Il laissa passer une petite minute, avant que l'assemblée ne remarque finalement sa présence. Le brouhaha s'estompa rapidement au profit de chuchotements, de coups de coudes et de doigts levés. A peine deux minutes plus tard, le silence régnait dans la pièce, sans qu'il n'ait eu à faire le moindre geste. Il avait toute leur attention.
- "Mes chers amis, soyez les bienvenus dans mon humble demeure. Je tiens à tous vous remercier pour votre présence, en particulier ceux qui ont fait un long et harassant voyage pour cette occasion. Bien que diverses rumeurs aient circulées, beaucoup parmi vous se demandent encore pour quelle raison je vous ai réuni ici ce soir."
Il marqua une pause, embrassant son auditoire, agrippant le regard de chaque invité.
"Je vous ai réuni ce soir pour célébrer un évènement très spécial. Un évènement qui comble de bonheur la Maison Davis. Un évènement qui augure un avenir plus faste encore que le présent que nous avons bâti ensemble, vous et moi. Un évènement qui vient confirmer la prospérité de mon nom."
Il marqua une nouvelle pause. L'assemblée retenait son souffle, plus personne n'osait produire le moindre son, dans l'attente de la révélation.
"Mes amis, je vous présente le futur de ma Maison. Je vous présente mon fils, Donovan Davis !"
- "CA SUFFIT !" Rugit-il.
Serena se figea, telle une statue de sel. Elle n'était pas habituée à ce qu'il réagisse de la sorte.
Cela faisait près de deux heures que sa femme le harcelait pour qu'il "réagisse", qu'il "montre de quel bois se chauffe la famille Davis". Cette sombre piailleuse décérébrée bouffie d'égo...
- "Je te rappelle que ton crétin de fils chéri dilapide chaque jour un peu plus nos réserves, et il n'a même pas l'embryon d'intelligence lui permettant de comprendre les répercussions de ses actes d'enfant pourri gaté. Pourri gaté par sa poule de mère !" Il pointait un doigt accusateur vers Serena, appuyant sur sa poitrine à mesure qu'il parlait, la poussant jusqu'à ce qu'elle se retrouve coincée au mur.
Elle tremblait à présent, une lueur de peur flottait dans ses yeux noirs.
- "Tu l'as pourri jusqu'à la moelle, à lui céder caprice sur caprice, à le mettre sur un piédestal pour la simple raison que c'est la chair de ta chair. Il se prend pour un marchand, il se donne de grands airs, mais tout ce qu'il fait, c'est provoquer des incidents diplomatiques à chaque fois qu'il fout son putain de nez porcin dehors ! Je me demande d'ailleurs par quel miracle il n'a pas été rossé plus tôt !" Il fulminait. Il avait eu la bêtise de laisser sa femme gérer l'éducation de leur fils. Il avait vu quelle tournure cela prenait, mais il n'avait pas réagit. Il s'en voulait.
- "Rossé ?! Il a été DETRUIT ! Tu as vu son état ?! Même s'il s'en sort, il ne sera plus considéré comme un homme !" Cria Serena d'une voix stridente.
Il ne put retenir un rire jaune.
- "Un homme? un HOMME? Ha ! Et par qui était-il considéré comme un homme, je te prie? Personne n'a jamais eu le moindre respect pour ce déchet !"
La sifflement qui suivit le pris par surprise. Il se massa sa joue rougie, qui venait d'accueillir la paume de Serena de plein fouet. Elle avait les yeux suintants de haine.
- "Comment oses-tu parler de lui de cette manière? Dono est notre fils ! NOTRE FILS !" Elle hurlait à présent. "Si tu le considères comme inconséquent, tu n'as qu'à te demander pourquoi tu ne l'as pas initié à l'art du commerce dont tu te targues d'etre un spécialiste ! Pourquoi le maître en la matière n'a pas jugé bon de former son propre sang, plutôt que de venir jouer les lâches en accusant les autres pour ses propres manquements !" Cracha Serena.
- "Et à quel moment exactement aurais-je dû l'initier? A chaque fois que j'ai tenté de lui mettre un peu de plomb dans le crâne, il courait se réfugier dans tes jupes en se plaignant que ce n'était pas amusant, et tu le cajolais en allant dépenser une fortune en conneries juste pour le consoler ! Tu as préféré lui bourrer le mou aux "arts de vie", aux conneries mondaines qui l'ont conduit tout droit à devenir le cloporte rampant et émasculé qu'il est maintenant !" Il sentait que la situation risquait de dégénérer, mais il ne parvint pas à se maîtriser mieux que ça. Il détestait ce qu'était devenu Donovan, mais il restait son fils. Et malgré ses arguments, il ne pouvait nier, au fond de lui, qu'il se sentait aussi coupable de son sort.
C'était trop pour Serena, qui s'effondra à genoux, le visage dans les mains, sans réussir à maîtriser les sanglots qui la secouaient.
- "Qu'est ce que j'ai fait... Oh mon dieu... Mon Dono chéri... Oh mon dieu..." Elle avait l'air d'un tas de chiffons tremblotant.
Face à l'air misérable de sa femme, la colère s'évapora, laissant place au gouffre de la honte et de la peur. Qu'allait devenir son fils? Qu'allait devenir sa famille? Les affaires étaient au point mort depuis quelques temps. Il avait amassé une fortune colossale précédemment, ce qui leur avait permis de voir venir. Mais leur fils avait littéralement fait fondre leurs réserves, à coup de jeux, de consommations de fumée et de boissons, de mauvais placements, et surtout en "frais diplomatiques", suite à ses multiples frasques...
Et maintenant, il était coincé : soit il montrait qu'il était toujours ce marchand riche et puissant, en lançant une vendetta contre ce "Capitaine" dont il ne connaissait pas grand chose, au risque de consommer le restant de leur réserve pécunière et de se retrouver rapidement à la merci des créanciers et autres charognards, soit il laissait passer l'affront, en tentant de faire passer ça pour une leçon d'humilité nécessaire à son fils, au risque de passer pour un marchand hors course, vieux, lâche et faible, incapable de protéger sa propre famille, et de voir les rares accords commerciaux encore en négociation s'échapper hors de sa portée...
Il s'effondra à son tour sur le sol, aux côtés de sa femme, l'esprit congelé par la noirceur de l'avenir qui se dessinait devant eux.
TTR.
Un coup de maître comme à chaque fois, comme un début de roman.
· Il y a environ un an ·Christophe Hulé
Merci beaucoup ! A défaut d'etre un début de roman, ce n'est que la "suite" de mes textes de Peter Pan ;)
· Il y a environ un an ·ttr-telling