La chasseuse 1

Galatea Belga


Vis grata puellae- Ovide


Vingt-cinq ans après,je flâne, sans être pressée, au centre de cette ville suburbaine, un grand froid dans les os et une envie de cigarette irrépressible avant de m'immerger dans les bras du bar au coin de cette avenue.

J'ai besoin avant tout de dialoguer avec mon bout de cigarette, lui dire que derrière la façade de l'immeuble à 500 pas d'ici, j'ai à peine tourné le dos à mon dernier rituel sur l'autel du hasard.
Rien de vraiment mémorable ne s'est passé, mais c'est encore une fois un bonus de n'avoir pas eu de surprises, de mauvaises surprises.
Lui, il était comme dans la photo : grand, assez musclé, dans la trentaine, un accent fort de cubain déjà bien inséré dans la jungle londonienne. Son merveilleux sourire, absolument naturel, met en ombre les détails d'un visage qu'on ne regarde pas avec envie dans un selfie à deux. 
La misère de l'appartement n'a rien ajouté à mes connaissances pour la décoration d'une chambre et j'ai évité de poser avec attention mon regard sur le peu d'objets ethniques parsemés, sans ordre, sur l'étagère et sur la petite table avec des taches azures, délavées.

Du rhum et la voix de Compay Segundo m'ont fait connaître, enfin, le parfum d' Hector, gentil comme les autres Pedros, Juans , Nelsons...

Autrefois, pendant mes nocturnes excursions à Brixton avec Baz et nos amis, tout était plus relaxant et drôle. On arrivait en voiture, en compagnie de gens bien connus et on était immédiatement à l'aise, la danse, l'alcool faisaient le reste.

Ce matin pas " d'alegria " mais les deux heures et demie ont passé vite. Loin d'une ambiance classe, j'ai toutefois savoureusement goûté ma séquence. La danse, la social danse d'antan, sauce de mes humeurs et réveil joyeux de mon corps trop souvent endormi, forcé à dormir, m'a fait oublier et être là, juste là. 

Mes cubains sont comme un beau collier de pierres lumineuses, bien entaillées à l'école du plaisir, ils sont l'éclat lumineux sans l'obligation du demain, des touche peau, chatouillement au vol de mon être avide et trop confus.

Maintenant un long café ,sans sucre, au Costa, pour m'insuffler l'arôme de l'espresso et du cappuccino si réconfortant et au goût de la pause authentique. J'en ai besoin, avant de monter dans le train pour Slough et rentrer dans ma verte suburbia de ménagère part-time, sans obligation de sincérité.
Ce n'est pas l'idéal la rencontre avec un Hector, un froid matin d'octobre, ici dans cette ville anonyme sans panorama à empresser dans mes rétines avides d'ancien et des ruelles de ma Parme.

Je déteste remonter dans les trains sales de la First Greater Western et chercher une place parmi les énormes coupes de cartons vides de café bouillon, quelque Big Issue et tout l'ensemble des Metro, fouillés par qui sait combien de voyageurs distraits, tristes ou simplement absents, pendant leur voyage de banlieusards forcés.

Mon petit café est déjà fini. 
Je sors entourée de ma bulle sensuelle et aromatique, je sais déjà qu'elle va être percée en descendant sur le trottoir de la ville au nom ridicule et imprononçable.

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