La chute d'Edie et Andy

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Chaque journaliste rêve de faire l'interview qui changera sa vie, la rencontre qui chamboulera sa carrière professionnelle.

Chaque journaliste rêve de faire l'interview qui changera sa vie, la rencontre qui chamboulera sa carrière professionnelle. J'ai longtemps été de ceux-là, tentant par tous les moyens de recueillir les souvenirs et scoops d'une célébrité. Il a fallu attendre qu'une semi-remorque de trois tonnes me renverse et me tue sur le coup pour y parvenir…

Je pensais avoir déjà connu les pires gueules de bois possibles mais la douleur qui me striait le crâne était bien plus difficile à supporter que tous les lendemains de veille déjà vécus. J'avais du mal à ouvrir les yeux mais une voix douce et bienveillante me rassura. "Vous verrez la douleur va disparaître… Tout disparaît ici." Un peu hébétée, je décidai de me réveiller et ouvris les yeux. Je tournai le visage et aperçu une magnifique jeune fille. Blonde décolorée avec quelques repousses brunes, les cheveux coupés à la garçonne, une frêle stature… Elle me rappelait quelqu'un mais je n'arrivais pas à mettre un nom sur ce visage. "Où suis-je? Que m'est-il arrivé?"

- Vous avez eu un accident et… vous êtes morte, Sweety.

- Non c'est impossible, je rêve.

- Ils disent tous ça, dit-elle en rigolant. Et son rire était la plus jolie chose que j'ai jamais entendue. Regardez autour de vous.

Ce que je fis et ce que je vis me laissa bouche bée. J'étais dans une pièce blanche envahie par une brume légère. L'ambiance était magique, surnaturelle. "Je suis au paradis?"

- Vous êtes là où vous voulez Sweety, qu'importe le nom que vous lui donnez.

- J'ai l'impression de vous connaître?

-Ça aussi, je l'entends souvent. Puis sans me quitter des yeux, elle éleva la voix : Andy? Andy mon chou, viens voir la petite dernière.

La porte s'ouvrit et une brume entra dans la pièce. Le brouillard se dissipa doucement laissant entrevoir une forme qui, au fil des secondes, dévoila son visage.

- Mais… mais vous êtes Andy Warhol?

-Exact mon chou.

-Alors, vous… vous êtes…

- Oui Sweety, je suis Edie. Edie Sedgwick.

- Mais alors, je suis morte!

- C'est bien ce que je t'ai dit.

Ils se turent me laissant digérer l'information. J'étais morte écrasée par un camion. Je n'avais pas regardé en traversant parce que j'étais stressée pour mon rendez-vous avec mon rédacteur en chef. Charles était gentil mais il me mettait beaucoup de pression pour que j'écrive un article sortant de l'ordinaire. Mon regard se posa sur ce couple mythique. Si j'avais été encore en vie, j'aurais tout donné pour quelques minutes passées avec eux. La vie était mal faite.

- Tttt, on sait ce que tu penses, me dit Andy. C'est pour ça qu'on est ici. Nous sommes là pour ton dernier papier.

- Ah… Je vous avoue que je pensais plutôt à une rencontre explosive de deux personnalités opposées. Lady Gaga et François Holande, Amélie Nothomb et Pete Doherty ou quelque chose du style.

- Oui, hé bien tu nous auras nous, dit Edie. Après tout, je pense que tu es la seule personne à nous voir réunis depuis de longues années. Même ici, ils ne nous voient jamais ensemble. Andy, commence veux-tu? Toutes ces émotions me fatiguent, je n'ai plus l'habitude.

Nous nous assîmes à une table qui, je mettrais ma main à couper n'était pas là à mon réveil, et nous commençâmes à discuter. Andy me parla de  son village d'enfance Mikovà, de son frère décédé et de son arrivée aux Etats-Unis. "Je détestais l'école, je n'y allais d'ailleurs pas très souvent. J'avais peur de mes camarades de classe, ils me maltraitaient. J'ai tout de même obtenu mon diplôme." De sa période de maladie, il ne me dira rien si ce n'est que c'était le seul moment où il pouvait "laisser libre cours à son imagination."  Sa première exposition ne lui laissera pas un bon souvenir, n'étant pas assez bénéfique en termes financiers. "J'étais obnubilé par l'argent. L'art n'était pour moi qu'une manière d'en engranger plus et plus encore", dit-il.

-Ca je m'en suis bien rendu compte, coupa Edie. Quand je l'ai rencontré en '65, il était émerveillé par la richesse de ma famille. Il m'en parlait sans arrêt.

- Tu ne sais pas ce que c'est que de vivre dans la pauvreté.

- Et toi, tu ne sais pas ce que c'était de vivre dans une famille de fous! Le sourire qui illuminait son visage depuis mon arrivée s'est tout à coup effacé. "Nous l'étions tous! Papa, Minty, Bobby… Et moi, je devais être la plus folle."

Je les regardai un instant, ces deux icônes qui avaient défrayé les magazines de l'époque. Ils me semblaient si fragiles aujourd'hui.

"Quand j'ai commencé à fréquenter la Factory, j'ai tout de suite été impressionnée par cet amas  d'artistes en tout genre. Ils semblaient vivre dans un monde magique démunis de biens matériaux, ils se moquaient des codes de la bonne société et pour moi qui venait d'une famille de la haute, c'était magique."

- Edie était splendide. Elle respirait la fraicheur et malgré ses problèmes évidents d'anorexie, elle irradiait le bonheur. Dès que je l'ai vue, je l'ai aimée. Pas de l'amour charnel comme certains l'ont insinué. Non, c'était un amour plus fort que tout. Elle était mon âme sœur.

- Tout s'est enchainé très vite, continua Edie. J'avais l'impression que ma vie était un film.

Ils me racontèrent leurs sorties, leurs soirées qui s'éternisaient sur plusieurs jours. L'alcool, la drogue, le tourbillon dans lequel ils furent emportés et sur lequel ils se laissèrent voguer pendant un an.

- Nous ne nous quittions plus. Andy est devenu mon ombre. Au début, j'étais flattée puis je me suis sentie emprisonnée par sa présence constante. Je voulais respirer. Le tournage de Ciao!Manhattan fût un véritable enfer.

- J'essayais juste de montrer la vie d'une petite fille riche et gâtée.

- Tu n'as rien fait… Derrière ta caméra, tu voyais que je m'enfonçais de plus en plus, que je sombrais dans la folie à cause de tout ce que je prenais mais tu n'as rien fait. J'avais confiance en toi, hurla-t-elle.

Le silence se fit. Je n'osais plus rien dire. Même au paradis ou peu importe le nom de cet endroit, ces deux-là ne s'étaient pas réconciliés et avaient emportés leur rancune avec eux. Edie reprit : "Andie et moi avons eu une effroyable dispute. De celles où l'on se dit des choses que l'on regrette mais qui ne s'effaceront jamais. Il était jaloux de l'intérêt que les médias me portaient ainsi que de mon idylle avec Bob.

-N'importe quoi, ce gars-là ne te méritait pas. Il était marié.

- Je l'aimais et quand il m'a abandonnée, tu m'avais déjà rayé de ta vie. Je n'étais plus rien à tes yeux, sanglota-t-elle. Une larme glissa le long de sa joue, laissant derrière elle une coulée d'eye liner noir. "Tout le monde m'a tourné le dos. Mais toi… Je t'ai ouvert les portes du monde de la bourgeoisie, je t'ai accompagné durant tes nuits d'insomnies, dans tes délires créatifs. Je t'ai écouté mais toi, as-tu seulement pris la peine de m'entendre?

- J'ai essayé mais tu ne te fiais à personne. Tu t'enfermais dans ta bulle…

- Dans une bulle que tu avais construites autour de moi. Je suis morte le jour où tu as refusé de me recevoir. Je suis morte le jour où je t'ai vu avec Nico et les Velvet. Je suis morte le jour où j'ai cessé de vivre à tes yeux.

Elle pleurait tellement que j'avais du mal à comprendre ce qu'elle disait. Andy la regardait. Ses grosses lunettes cachaient ses yeux. Même dans la mort, ce type était incompréhensible, il restait un véritable mystère impénétrable. Il ne disait rien, se malaxait les mains et se tenait droit comme un i ce qui était sûrement dû au corset qu'il portait toujours suite à la tentative d'assassinat ratée de '68.

-Je suis… désolé, lâcha-t-il. Sa voie tremblait mais il su se maintenir. "Ces retrouvailles ne devaient pas tourner au mélodrame. Je pensais que l'on pourrait peut-être passer au-dessus de nos différends et redevenir les âmes sœurs que nous étions."

J'étais en train de vivre un moment historique. Dommage que j'étais morte.

-       Tu l'as dit toi même quand je suis décédée, "I hardly knew her at all". Je me suis dit la même chose quand tu m'as rejetée.

Elle se tourna alors vers moi, "Tu te souviens de ce que je t'ai dit tout à l'heure quand tu émergeais?"

Comment oublier : "Oui, tu m'as dit qu'ici tout disparaissait."

-       Je t'ai menti. La douleur physique, les addictions, les maladies disparaissent mais les peines profondes, les choses qui nous ont détruites sur terre nous poursuivent ici. Mon cœur s'est brisé cette année là, mon corps l'a suivit de près. J'ai pu trouver un peu de réconfort auprès de Michel mon mari, mais jamais je n'ai pu me relever et me reconstruire. Cet homme, dit-elle en désignant Andy, cet homme est un pour beaucoup un génie, un artiste torturé. Pour moi qui connais ses secrets et ses peurs, il n'est qu'un lâche et un égoïste. Me mettre en lumière pour me faire retomber dans les ténèbres un peu plus tard, même Houdini n'aurait pas fait mieux.

Elle se leva. "J'en ai assez de ces souvenirs. J'ai besoin de faire le vide. Sweety, je sais que ce n'est pas la rencontre du siècle. Tu avais du talent et tu aurais mérité plus qu'une simple idiote et ancienne droguée comme moi. Je t'aime bien et j'aurais voulu te donner plus de jolies choses pour ton papier, ton dernier article. Ce n'était pas une bonne idée de nous revoir Andy et moi. Nous ne sommes plus des amis, même plus des connaissances. Nous ne sommes que deux personnes qui se sont perdues dans le tourbillon de la célébrité. Des stars de télé-réalité avant même que le concept soit inventé. Mettre ma vie en image, s'en accaparer pour la jeter en pâture au public puis me laisser seule face au néant, face au rejet des gens, voilà ce qu'Andy m'a fait. Il ne vaut pas mieux que ces producteurs véreux. S'il n'avait pas rencontré les bonnes personnes au bon moment, qui sait ce que serait devenu ce petit bout d'homme malingre."

Je me levai à mon tour. Edie me prit dans ses menus bras. "Tu verras la mort n'est pas terrible. Ce qui l'est, c'est de la vivre seule. Lui comme moi, nous n'avons personne," me dit-elle en désignant Andy. Elle s'avança vers l'artiste, le prit dans ses bras, se pencha vers lui, et lui murmura, "je te plains Andy. Toute ta vie tu t'es entouré des plus belles femmes mais là, tu es seul face à tes actions. Ici, il ne nous reste que nos regrets n'est-ce pas?! Comme toi comme pour moi, plus dure est la chute" Elle l'embrassa sur la bouche, un petit baiser déposé rapidement puis s'avança vers la porte, l'ouvrit et disparut.

Je me retournai vers Andy, il avait l'air abattu, il avait retiré ses lunettes et se frottait les yeux. Il les leva vers moi : "Je l'aimais vraiment. Quoiqu'on en dise. Mais je n'ai jamais pu supporter qu'un autre l'approche, elle était mienne. Personne ne me comprendra jamais. Edie était mon Edie."

Il avait l'air si vieux en disant ses mots. "Je suis fatigué, je voudrais rester seul s'il te plait." Mon temps ici était fini, je devais découvrir le monde et surtout écrire ce dernier papier. Avant de partir, je me retournai et lui dit. "Pourquoi l'avoir abandonnée?" Il me regarda, remit ses lunettes et déclara d'un ton fatigué : "Show must go on, non? Elle m'avait laissé pour Bob Dylan, je l'ai laissé pour Nico. Il n'y avait pas de retour en arrière possible… aucun retour en arrière possible". Il partit d'un rire gras qui me glaça d'effroi. Je me retournai et avançait vers les nuages. Quand je  franchis les nuages, je l'ai entendu chantonner : "Andy et Edie. Edie et Andy, plus dure sera la chute… Andy et Edie, Edie et Andy…"

 

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Quand Charles Puché, rédacteur en chef du Luxe Magazine revint des funérailles d'Emma, il sentait désorienté. Il passa devant le bureau de la jeune femme et ressenti le besoin d'y entrer. Il s'assit sur le fauteuil, le faisant tourner comme Emma aimait le faire. Son regard se posa sur le bureau et il vit une liasse de feuilles A4. Il les prit en main, hésita puis se mit à les lire. Il pleura beaucoup puis prit la décision.

 

Un jour plus tard, la nouvelle édition de Luxe Magazine sorti. Sa couverture attira de nombreux lecteurs. On pouvait y voir une magnifique photo d'Edie Sedgwick, splendide icône et égérie d'Andy Warhol. Dans le cahier central, en double page s'étalait l'article : "La chute d'Edie: histoire d'une icône intemporelle", un article de notre regrettée Emma S. 

 

 

 

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