La couturière

Me laver à l'évier de la cuisine comme à la campagne, avec  un savon de Marseillle au lait d'ânesse acheté vendredi au marché. Me brosser les dents avec ma brosse écolo, redressé le carré de miroir accroché au mur, le café boue, le pain est en train de griller sur le fourneau. Je m'appelle Catherine, un prénom qui fait un peu vieux, un peu fille de notable, j'ai pas 20 ans comme j'ai dit à un étudiant pendant la visite de la fac de droit (où je n'irai pas d'ailleurs!) et je ne fais pas sciences po non plus. Je passe mon bac cette année, je fais des maths, une matière que mon père aime au plus haut point! Je l'ai menacé de faire une école de couture si je réussissais mon bac, c'est ce que je veux faire en vérité, je ne veux pas me remettre en question comme dit ma mère, non je ne veux pas! J'ai envie de casser ma tirelire et de m'inscrire à un cours de couture dans le quartier, n'importe où, je veux faire du boutis, des patchworks, mes ourlets, ceux de ma soeur, qu'on me fiche la paix une bonne fois pour toutes! Je ne serai pas une pauvre cousette, ou pire une Cosette comme pensent mes parents. Je veux qu'ils comprennent quelque chose au sujet, y a que ma soeur (brillante au demeurant, il faut le préciser, vous saurez pourquoi plus bas) qui me soutient dans cette histoire. A l'heure de la play station et du portable, je veux faire preuve de création, avec du fil et une aiguille braver les coups du sort, j'y crois fort. Viendra le jour où sur mon bureau à la place des bouquins et des cahiers, trônera une belle machine à coudre, rutilante, flambant neuve. C'est ça qui me fait rêver en fait. Pendant mes pauses je feuillette des magasines de mode, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus en couture. Ma voisine connaît une jeune couturière qui travaille dans une boutique de robes de mariée, quoi de mieux pour faire rêver les jeunes filles, je sais je fais un peu vieux jeu. Elle va me la présenter bientôt, ça me fera un petit stage théorique où je lui poserai plein de questions, je lui demanderai comment elle s'est formée, ce qu'elle préfère en couture, quelle marque de machine elle a (moi je me vois déjà avec une belle Singer à l'ancienne!). Je lui dirai que j'ai fait de la couture avec mes deux grands-mères, qu'avec elles j'ai appris à faire des ourlets, et des vêtements d'été pour enfants. ça me fera de l'avance pour mon école l'année prochaine. En bon père de famille qui gagne plutôt bien sa vie, mon paternel me paye depuis la 1ère des cours de maths qui sont pour moi une vraie bouée. Moi ce qui m'intéresse dans les maths c'est rendre la monnaie à mes futurs clients sans me tromper, un point c'est tout! Si mes parents croient que je vais avoir mon bac avec mention... Si je suis en S, je le dois à ma soeur qui elle, a eu son bac avec mention TB, un petit coup de pouce dont je me serais bien passé (c'était ça sinon je redoublais, oh honte et désespoir). Un esprit doté d'une bonne aspiration à l'art et à la création  comme le mien n'a rien à faire en maths, ça mon père ne l'a pas compris. Seule ma soeur a bien vu de quoi il en retournait avec moi, et ma mère aussi, mais elle, en bonne femme soumise, fait semblant de ne pas comprendre et se lie à son sacro-saint mari sans lequel elle pourrait très bien vivre sa vie si elle le voulait, mais ceci est un autre sujet. Pour moi la couture n'est pas synonyme de femme soumise ou inintéressante, qu'on se le dise dans la famille! Bref, je compte sur les matières que j'appelle humaines ou humanistes pour m'en sortir, la bonne vieille philo, les langues et l'histoire-géo où je me défends bien. Il faut avoir une bonne mémoire, j'ai la chance de retenir au bout de deux lectures grâce à des fiches comme m'a appris ma chère soeur, elle me doit bien ça! Bien, voilà mon histoire mais je ne vous ai pas tout dit. Si je me lave à l'évier de la cuisine comme à la campagne, vous vous êtes peut-être demandé pourquoi, c'est que je suis en ce moment même chez un ami avec lequel j'ai sympathisé, un vieux monsieur qui n'a pas de salle de bain chez qui j'ai passé la nuit en tout bien tout honneur. Sa maison c'est un logis un peu comme dans les films de Charlot pas un taudis mais presque. J'ai récupéré des rideaux qui traînaient dans la remise et les ai installés, ça fait quand même plus propre, avec un vieux drap à fleurs j'ai cousu une jolie nappe et, j'ai reprisé un vieux pantalon et une veste assez correcte. Pourquoi j'ai passé la nuit chez lui? Pour embêter mes parents qui entre parenthèse vont me foutre une raclée tous les deux. Voilà comment j'ai commencé mon travail de couturière, je raconterai peut-être ma nuit à mes futurs petits-enfants en espérant que l'un d'eux ou plus qui sait voudra bien faire un travail créatif et humain.