La crise des 30 ans (et douze mois)

redstars


Trente ans. Merde, non. Trente-et-un ans. Putain…

 

C'est fou la vie, quand même. C'est fou la tournure que prennent les choses, surtout lorsque l'on ne s'y attend pas.

Dans mon cas, je crois que je ne réalise toujours pas avoir atteint cet âge en lequel je me sens en complet décalage. Peut-être parce qu'il y a le passé, là, juste derrière, qui ricane en silence. Oui. Peut-être parce que j'avais décidé de mourir à dix-huit ans, à la base. Je m'en rappelle si bien. Puis à dix-neuf, puis à vingt, comme ça n'avait pas marché les premières fois. Et ainsi de suite, à tout bout de champ, les urgences, et encore, et encore... et encore.

Je vivais au jour le jour. Je vis toujours au jour le jour. Mais voilà je ne comprends pas que je puisse être toujours de ce monde à… trente et un ans. On m'aurait dit ça y'a quinze ans, j'aurais explosé de rire. Si, si.

 

Mais la trentaine, ce n'est pas seulement une histoire de passé. C'est aussi le présent, qui s'éloigne aussi vite qu'il apparait. Une seconde, deux secondes, trois secondes, un, deux, trois, soleil ! Le temps passe, et tu trépasses, et le présent devient passé, un, deux, trois, tu n'as plus le temps de compter, parce que cela passe désormais si vite, une seconde, puis deux, ne te retourne pas, tu vas oublier d'avancer…

 

En décalage, je regarde les autres autour de moi. Parents, mariés, la maison à crédit, ne manque que le labrador. Et moi. Au milieu, comme un cactus perdu en plein désert. Avec mes thérapies à droite, à gauche, avec mon esprit anticonformiste, encore, toujours, sans travail, sans équilibre, toujours à danser sur le même fil de verre. A moitié adolescente au fond, là, dans un recoin de ma tête. En retard, comparé aux autres, comparé à ce que veulent les mœurs. Pas à ma place, selon la société. Malade diraient certains, assistée diraient d'autres, battante affirmeraient les plus proches. Mais qui en somme ? Mais qui au juste ? Comment fait-on lorsqu'on s'est perdu dans les hautes herbes, quand on a perdu cette ligne blanche qu'il faut suivre ? Et que faire si l'on s'en fout, hein, de cette ligne blanche à la con ?

 

Et puis, et puis voilà, j'ai une peur viscérale de vieillir. Je me rappelle il y a dix, quinze ans, insouciante et désinvolte. J'étais « la petite » aux yeux de mes amis d'infortune, dans les cliniques où j'ai déposé ma carcasse. Aujourd'hui non, je ne suis plus une « petite », dieu que cela me manque. Ou plutôt, l'idée de ne plus jamais l'être… qui sait ?

 

Je suis obnubilée par l'âge des gens. Généralement, on me donne moins que mon âge, et cela me fait l'effet d'une crème apaisante sur une brûlure à vif. Sauf que c'est illusoire tout ça. Trente-et-un, c'est comme ça, que je fasse plus jeune ou plus vieille.

 

Au fond, je suis ni jeune, ni vieille, non, je suis perdue là, dans l'entre-deux, femme-enfant paumée, qui voudrait creuser un tunnel pour revenir en arrière, ne pas refaire les mêmes erreurs, les mêmes conneries, changer ici et là énormément de choses. Tellement de choses...

 

Quand je vois des gens, en vrai, ou sur l'écran de la télé, je recherche leur âge, ou je me compare inéluctablement. Celui que j'aime n'en peut plus de mes analyses inutiles. Si je croise une personne qui a le même âge que moi, je me décompose : je ressemble à ça moi aussi ? Et toutes ces jeunes filles fraiches comme des roses qui poussent partout comme des champignons au Pays des Merveilles. Je me sens tellement périmée à leurs côtés. Comment ai-je fait pour ne pas voir passer le temps ? Où sont passées ces années dont je n'ai pas profité ? Trop occupée à détruire qui j'étais… Les souvenirs sont flous, voire inexistants. Juste du glauque, du noir, du sombre. Un goût de terre froide dans la bouche.

 

Pour mes trente-ans, l'année dernière, on m'a offert un second saut à l'élastique, et en sautant depuis le pont haut de 115m, j'ai évacué tout ce qui me bouffait.

Ça m'a complètement vidé l'esprit de tout ce qui le polluait. J'ai hurlé tout ce que je pouvais, et puis j'ai rigolé, et mon rire a résonné dans les gorges. Je me sentais mieux après. Comme si je m'étais débarrassée de plein de mauvaises choses. Comme si ça m'avait lavée de toute crasse.

 

Mais voilà, le temps jamais ne s'arrête. Je vois les années effrayantes s'approcher de moi, je vois la vieillesse pointer le bout de son nez, je suis un meuble Ikea : j'ai mal partout tout le temps. Si je me prends une cuite un soir, je mets trois jours voire quatre ou cinq pour m'en remettre. Une nuit blanche nécessite deux ou trois jours de repos pour se remettre sur pied. Et je réalise que non, je ne ferai plus jamais parti des petits jeunes qui parlent un langage que je ne comprends plus.

 

J'ai donné, jeté, offert, tous mes vêtements d'antan. Les longues vestes gothiques, les corsets, les jupes longues faussement déchirées, les docs aux pieds, les hauts à dentelle. J'ai arrêté de massacrer mes cheveux en changeant de couleur tous les trois mois. Je suis revenue à ma couleur naturelle, blond cendré, et je ne me sens pas moi-même avec ces mèches blondes sur ma tête. Je rêve de rouge. Du rouge sang dans les cheveux.

Je m'habille comme madame tout le monde. Plus d'originalité. J'estime peut-être avoir passé l'âge pour garder mon ex-look médiéval et vaporeux. J'en sais rien. J'essaie de me fondre dans ce putain de moule qui m'obsède autant que je le maudis.

Je déteste les cases, alors pourtant je tente à tout prix de rentrer dedans ? Hein ? Du moins, essayer, car visiblement, les cases, c'est pas mon truc. Je ne saurai jamais être ce qu'on attend de moi. Non, moi, je préfère définitivement les hautes herbes sans panneaux de direction ni ligne à suivre.

Bref. Je sens que je périme. Je me rends malade quand celui que j'aime sort avec ses acolytes masculins dans des bars le soir. Parce qu'il y aura ces petites putes d'aujourd'hui qui tentent de draguer tout ce qui bouge.

Je me suis mise à grimacer devant le miroir pour analyser d'éventuelles rides sur ma peau d'adolescente. Je sens que je ne suis pas faite pour cet âge-là, que je suis restée bloquée ailleurs, dans une autre dimension.

Et peut-être que ce n'est pas si grave, au fond…

 

Ouai, c'est décidé, je crois que je grandirai plus tard.

 


  • ça m'a manqué quand tu as laissé ton originalité vestimentaire au placard. J'avoue même qu'elle m'avait inspirée. Pour vivre au jour le jour je t'assure que se comparer aux autres est un réflexe que j'ai dû laisser tomber afin de me consacrer à la (sur)vie. Je peux aussi te dire qu'il y a des trentenaires "accomplies" rongées par l'alcool, des femmes toxicos de plus de trente ans qui font des overdoses dans des hôtels miteux, il y a plein de parcours "ratés". Tu es dans un processus de soin et d'intégration, tu te bats, tu es unique, les gens qui t'aiment t'aiment comme ça, tu as un passé, une expérience de vie, des aléas et des troubles que tu n'as pas demandés... Chacun fait comme il peut, et pour ce que ça vaut je suis fière de toi.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Aqualantmauve

    _wendy_

  • J'aime beaucoup ce texte. Ce qui m'a frappé c'est : je devais mourir à dix huit ans, puis dix neuf, puis vingt... comme moi, et aujourd'hui à bientôt 27 (je vais te rajeunir nous ne sommes pas si éloignées :)) je me demande ce que je fais encore là???? et jusqu'à quand...

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)

    • C'est tout à fait cela...

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Zt245dd

      redstars

  • Il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir ;-))

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Marcus Volk

  • La mort ne m’a jamais effrayé, je ne suis pas croyant, je ne crois qu’au néant. La mort n’est qu’une bonne nuit sans rêve, exempte de toute conscience d’existence, il n’y a pas de quoi en faire un tel plat. Par contre, je crois avoir toujours eu peur de vieillir et comme j’ai soixante-trois ans à présent, tu peux imaginer que cela ne s’est pas arrangé. Pour cette raison, j’ai bien aimé ton texte, gamine.
    Je trouve sympa un des principes oublié du stoïcisme: il ne sert à rien de se tourmenter pour des causes sur lesquelles nous n’avons aucune possibilité d’action. Certes, c’est juste, mais comme la logique n’a aucune incidence sur nos sentiments… Courage fillette !

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

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