La cuisine au miel (2)

aile68

Avec lui je me disais que ça n'irait pas plus loin, j'ai transposé mes sentiments sur du papier Canson et j'ai dessiné, peint ce que je n'arrivais pas à lui dire. J'ai pris des petites feuilles de classeur à carreaux, mes préférées, et j'ai fait des schémas, des ronds, des carrés, des triangles et j'ai écrit des mots à l'intérieur. Les mots coulaient et s'écoulaient de mon stylo bleu des mers du Sud, horizon, pins maritimes, yeux noirs, sourire, amour, coeur de miel au gingembre. En discutant avec une femme un jour au secours populaire, j'ai appris quelque chose sur moi qui m'a fait rougir, je le dirais peut-être à ma soeur et encore je ne savais pas, c'était trop personnel à mon goût. Le goût, un mot que j'adaptais à tous les parfums de glace, la mûre rustique, le citron pétillant, la vanille dégoulinant sur le cornet avec une touche de miel qui fond dans la gorge. Comme j'aurais aimé me promener avec Pierre, une glace à la main, mais ce n'était pas son genre ces ballades-là, lui avec son cartable et ses lunettes rectangulaires. Je m'étais souvent demandé "Pourquoi lui?". C'était son côté sage et sérieux qui m'attirait, avec lui je me sentais en sécurité, dans une maison où même la verveine avait une saveur savamment sucrée et délicate. Le plus fade des breuvages avec lui avait un goût extrême, remarquable! C'était ça l'amour chez moi. Et chez lui? Il avait pour moi toujours ce demi-sourire qu'il cachait derrière une phrase intelligente pour détourner l'attention. Je ne m'intéressais pas assez à l'actualité pour lui répondre, moi je planais face aux événements du monde. Lui, il planait, préférait zapper sur ses sentiments pour moi. Sur mes feuilles, je laissais couler l'encre et mon amour pour lui. 

(à suivre)

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