La demoiselle de la Tour

Michele Hardenne

La demoiselle de la Tour

Il était une fois, dans une lointaine contrée, une famille qui vivait  dans une chaumière au milieu d’une campagne prospère.

Pendant que le père et les trois fils s’occupaient aux champs, la mère entretenait la maison, et  en compagnie de la plus jeune de ses enfants allait nourrir les poules et traire les trois vaches qu’ils possédaient.

Un soir d’été, alors que l’orage grondait, on frappa trois coups secs à la porte.

La mère regarda par la fenêtre et aperçut un vieil homme recouvert d’une étoffe trempée par la pluie qui ne cessait de tomber à grosses gouttes.

La famille étant attablée et buvant une grosse soupe qu’elle avait préparée, elle accueillit le passager et l’invita à se joindre à eux.

Le ciel étant redevenu serein, l’homme se leva et pour les remercier leur offrit deux énormes livres que contenait son cabas.

Le père, la mère et les trois fils, les refusèrent pensant qu’ils devaient sans doute être très précieux, puisqu’ils étaient les seuls bagages que l’homme transportait.

Mathilda s’était agenouillée près de la cheminée et avec un morceau de charbon refroidi dessinait des étoiles sur le sol en pierre.

L’homme s’approcha d’elle et, lui offrant un sourire édenté, déposa les livres à ses pieds.

« Ils sont magiques, ils m’ont fait voyager dans tout l’univers et bien au-delà ! Maintenant, je suis un vieil homme, je suis bien trop fatigué, ils ne me seront plus d’aucune utilité, et les livres ne peuvent me suivre là où je vais aller me reposer. ».

La jeune fille regarda ses parents, puis accepta le présent.

Lorsque le jour se leva, toute la campagne qui était prête à être moissonnée avait subi les dégâts de la tempête : les blés étaient couchés dans une boue rougeâtre. Seuls quelques hectares avaient été épargnés, et les épis restés bien droits étaient encore plus dorés qu’ils ne l’avaient jamais été.

Les fermiers avoisinant accusèrent la famille d’être à l’origine de leur malheur.

Le père, la mère et les quatre enfants furent arrêtés et emmenés au Tribunal pour y être jugés, les gens du village les ayant accusés d’avoir sans doute sollicité le diable afin que leur culture soit préservée.

Les frères et le père furent jetés au cachot, puis emmenés par des soldats pour aller se battre au côté du roi. La guerre faisait rage en ces temps-là !

La mère et la jeune fille se retrouvèrent prisonnières au plus haut de la tour de Justice, étant accusées de sorcellerie, elles devaient être soumises à la « question ».

La mère prise de fière mourut dans la semaine et Mathilda se retrouva seule.

Plusieurs jours passèrent, la tour était devenue silencieuse. Par une des meurtrières, creusée dans un épais mur de pierre, elle pouvait voir la contrée qui semblait abandonnée : les champs n’étaient que des surfaces de terre humide, elle pouvait aussi apercevoir sa maison et le vieux chêne couvert de feuilles rousses.

La jeune fille croupie dans un coin de sa prison, se souvint que les livres qui lui avaient été saisis par ses juges, lui avaient été rendus. Un comité s’était réuni pour  les étudier et n’y avait lu que des rapports de voyages et des histoires sans aucun lien avec une quelconque pratique de magie.

Elle sortit d’un sac de jute, le premier livre. Elle passa doucement sa main sur la couverture de cuir craquelé, puis l’ouvrit.

Les nuits laissaient la place aux jours, la campagne se couvrit d’un manteau blanc, et le chêne nu n’attira plus les oiseaux.

Puis, les saisons se suivirent les unes après les autres et pendant que les murs extérieurs de la tour  se frottaient au vent, à la pluie, au soleil, une jeune fille à l’intérieur voyageait vers des îles aux trésors,  elle volait sur les ailes d’un oiseau, parlait avec des fées et des lutins, visitaient des mondes étranges tant hostiles qu’accueillants, elle n’avait ni froid, ni peur, ni faim, ne souffrait d’aucun maux.

Lorsqu’elle ferma le second livre, elle rouvrit le premier et s’aperçut que les mots n’y étaient plus, que les pages avaient retrouvé leur blancheur originelle, qu’il ne restait plus que quelques miettes de lettres sur la couverture.

Elle avait dévoré le contenu des pages et s’était nourrie des mots, jusqu’au dernier !

L’humidité de sa geôle rendait son corps douloureux, elle avait froid, elle avait faim, la nuit lui semblait éternelle.

Les yeux fermés, elle repensait à ces merveilleux voyages et cherchait dans ses pensées un rayon de soleil qui pourrait la réchauffer. Ce fut un éclat de lune qui se posa sur ses paupières et qui la réveilla.

Elle se rendit à la meurtrière pour prendre davantage de cette belle lumière céleste.

La lune pleine éclairait toute la contrée, et dans un ciel chargé d’étoiles, elle en aperçut une plus scintillante que les autres.

Elle se souvint d’un air que lui chantait sa mère et elle se mit à l’entonner : « au clair de la Lune, mon ami Pierrot… ».

Un jeune homme s’était assoupi au pied de la tour et lorsqu’il entendit la douce voix, il entra dans le bâtiment, grimpa trois par trois les hautes marches de pierre et fracassa la porte qui toute vermoulue céda.

Il entra dans la pièce et n’aperçut que deux vieux livres éclairés par un rayon lumineux, dont les pages étaient immaculées.

« …prête-moi ta plume, pour écrire un mot ! » poursuivit la voix.

La lumière qui s’infiltrait par l’ouverture murale, fit apparaître une belle jeune fille, qui lui demanda d’écrire quelques mots sur les pages d’un livre.

Depuis, dans cette tour, des mots viennent s’y déposer afin qu’une demoiselle n’ait plus jamais faim, ni froid, et chaque nuit de pleine lune, elle nous en remercie en nous faisant entendre sa jolie voix.

M.H. (Michèle Hardenne)

Pour Mathilda une « mange-page ».

  • Merci Choupette, dans toutes les contrées du monde, il existe des endroits où nous retrouvons notre imaginaire d'enfant !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Michele Hardenne

  • Je suis retombée en enfance...et j'ai réussit à y croire. c'est donc que le texte est bon!CDC

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Choupette

  • Merci Dimir-na, je reconnais à la lecture de ton commentaire, l'homme de partage qui t'honore ! Il fut une époque où le diabolique réglait bien les affaires du malhonnête et de l'envieux!

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Michele Hardenne

  • Le philosophe ressent la cupidité des gens, leur fougue a préféré endiablé la vie, le poète eut aimé être l'homme au don de ces livres magiques, qui en plus de faire voyager, installe le lecteur, comme écrivain de ses propres rêves. Bouquet d'étoiles éclairant ton encre. Dimir-na

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    dimir-na

  • Merci Writter, ce texte est ma contribution pour faire revivre une tour de Justice dans un village de ma campagne. Nous sommes plusieurs petits auteurs qui nous réunissons pour écrire des contes et faire revivre des légendes en rapport avec ce site exceptionnel. Ces textes inciteront peut-être le politique à intervenir davantage pour une réhabilitation de cette tour patrimoniale !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Michele Hardenne

  • J'adore aussi! Trés bon texte, j'ai pas trop l'habitude de lire ce genre de texte mais je me suis laissé emporter. Merci pour cette agréable lecture.

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    greg33

  • Merci Stephan Mary, la tour et la demoiselle existe vraiment, il suffit de se rendre dans un petit village de Belgique qui s'appelle Ouffet, et le soir au clair de Lune, on les voit briller !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Michele Hardenne

  • Entre Crol Lewis et Jules Verne ! J'adore. 5 coeurs parce que c'est le maximum mais un cœur de plus pour le plaisir silencieux de la lecture

    · Il y a plus de 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

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