La director's cut

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Chers lecteurs, vous allez découvrir ici en exclusivité la retranscription intégrale de l'interview qu'à bien voulu accorder Mr Steve Jobs, en ce début d'année 2024, aux journalistes de la rédaction de I-Mag.

 

I-Mag : Mr Jobs, bonjour. Et tout d'abord, une question traditionnelle, mais qui au vu des circonstances prend une tout autre profondeur : comment allez-vous ?

 

Steve Jobs : hé bien, je ne m'en sors pas trop mal pour quelqu'un qui a frôlé la mort de si près. Ma santé reste très précaire. Mais un répit m'est offert, et nul n'en connaît la durée, alors je compte bien en profiter pour donner, pour un temps encore, le meilleur de moi-même. Et rassurez vous, coté neurones, tout va très bien !

 

I-Mag : Venons en, si vous le voulez bien, au cœur même de notre entretien.

Pour nos lecteurs, portons avec vous un regard de fond sur ce qui s'est passé chez Apple depuis votre nouveau retour à sa direction. Rappelons que c'est en 2013, peu après la nouvelle rémission de votre cancer donc, que les dirigeants et actionnaires ont songé à faire à nouveau appel à vous.

 

SJ : Oui, vous savez, après ma nouvelle victoire sur la maladie en 2012, j'ai eu du temps pour prendre le recul nécessaire. Alors pour mon nouveau retour, j'ai voulu placer la barre beaucoup plus haute. J'ai donc pris mes précautions pour écarter le risque d'être évincé cette fois-ci.

Les actionnaires ont dû reconnaître qu'ils avaient besoin de moi, que Jobs et la Pomme, ce n'était pas remplaçable, pas négociable. N'ayant plus rien à perdre, et tant à transmettre, j'ai pu imposer de revenir avec les pleins pouvoirs, sans restriction, pour vraiment réaliser ce que j'ai toujours voulu pour Apple.

Car au final, que vais-je laisser de mon passage sur terre ?

Quand j'ai pu lire auprès des rédactions les nécros préparées sur moi fin 2011, lorsque beaucoup m'enterraient déjà, qu'en ressortait-il à l'arrivée ?

Une entreprise plus que florissante, mais surtout au bénéfice des investisseurs, et avec une image de plus en plus écornée, qui plus est.

Des apports technologiques et ergonomiques certes fabuleux, mais avec l'irritante impression de les laisser au seul usage d'une frange toujours plus huppée de la population.

Ces apports et les habitudes de vie que j'ai suscités, non seulement je ne les regrette pas, mais je continue à en être fier.

Et justement, je voulais plus que ça, marquer encore l'époque en laissant une toute autre trace.

 

 

I-Mag : d'où l'idée d'un ultime virage ?

 

SJ : Oui. Depuis le début, Apple a toujours été celle qui montre le chemin, découvre une nouvelle voie. Comprenez moi bien, nous n'étions pas seulement les premiers à emprunter ces chemins. Nous les construisions, que dis-je, nous les inventions littéralement !

Nous n'avions pas juste créé des objets, nous y avons associé des usages, des habitudes, une manière de vivre.

Or comment faire perdurer cela au delà des années 2010 ?

Car tout le monde sentait bien le vent tourner. La concurrence était certes toujours derrière, mais devenait de plus en plus affûtée, et souvent à moindre coût. Notre capacité d'innovation était encore là, mais cette course tournait parfois à l'escalade, la surenchère.

C'est pour cela que cette fois-ci, je n'avais pas voulu créer juste un objet nouveau de plus, et ses quelques usages spécifiques, chose qu'Apple avait jusqu'à présent amené. Cela ne suffisait plus.

Pour l'électrochoc que je souhaitais, j'ai décidé de prendre totalement à contre-pied des tendances d'alors. Mais attention, c'étaient les tendances de l'époque, pas celles que j'entrevoyais pour le futur.

 

I-Mag : C'est pour ça qu'a vu le jour le projet  E-pure ?

 

Oui, et pour cela, il me tout d'abord fallait atteindre une diffusion vraiment massive de nos terminaux auprès du plus grand nombre, associée aux contre tendances radicales que je vais évoquer.

C'était un bouleversement en profondeur, une oeuvre que seule Apple, par sa renommée, son assise technologique et le levier de sa puissance financière, pouvait mener.

L'objectif fut qu'Apple devienne l'environnement informatique et des technologies de la communication le plus répandu au monde.

Le nouveau standard, tout simplement, tout comme il y eu dans le passé une période où un ordinateur était forcément un PC, un traitement de texte quasi-systématiquement Word.

C'est maintenant Apple qui est devenue la porte d'entrée quasi incontournable.

Ses terminaux, ordinateurs, téléphones ou tablettes, portés par l'ergonomie, la qualité, le design et la simplicité qui ont toujours faits le succès de la marque sont désormais devenus La référence.

Car mon but a toujours été qu'Apple rentre dans chaque foyer, sur chaque bureau, au fond de chaque poche. Or force était de constater que si notre réputation n'avait pas d'égale, nous étions loin d'avoir conquis la quasi-totalité, ni même la majorité, des utilisateurs potentiels. Que ce soit avant, sur le terrain de l'ordinateur et le système d'exploitation associé, ou plus récemment sur la hi-tech nomade, nous restions fondamentalement incapables de réaliser une invasion massive, majoritaire, et surtout pérenne du marché.

Nous étions focalisé au fil des ans sur le «  avant tout le monde » et « plus que tout le monde ». J'ai voulu en revenir au « pour tout le monde », la raison d'être originelle d'Apple.

 

I-Mag : alors pouvez vous définir l'approche qui sous-tend toute votre gamme désormais ?

 

SJ : Ce n'est rien moins que la facilité de mise en œuvre et d'usage redevienne la priorité ultime. Et cela au sein d'un vaste ensemble, accessible au plus grand nombre, qui unifie tous les usages liés aux technologies de l'information au travers d'un environnement, un socle unique, qui soit tout d'abord transversal à tous les types de terminaux utilisés. Et qui d'autre part offre aussi une compatibilité verticale de bout en bout puisque Apple étaient une des rares sociétés à intervenir chaque étage : matériel, système d'exploitation associé, logiciels et applications à disposition, et enfin l'univers on-line associé, sur lequel je reviendrai.

 

I-Mag : un autre élément fondateur aura été que la priorité ne fut plus donnée à la course à la puissance et à l'innovation forcenée. Et ceci va bien au-delà du technologique, cela touche à la conception même que l'on a du rapport de l'humain à la machine, et au progrès. Cela devient idéologique, ou en tout cas conceptuel. D'où le nom, E-pure, que vous aviez choisi pour le projet…

 

SJ : Oui, j'avais souhaité et imposé, non sans mal il est vrai, un retour à l'essentiel.

La quintessence, pas le superflu.

La concurrence toujours plus prompte à réagir et nous copier rendait de plus en plus fragile un modèle basé sur l'innovation à outrance. Victime de son succès, Apple devait à chaque fois sortir LE produit qui changerait nos vies, et cela à un rythme de plus en plus effréné. Les relatives déceptions engendrées lors des lancements des modèles d'I-phone à cette époque là annonçaient la fin de cette stratégie.

Que mes suiveurs… heu pardon, mes concurrents continuent à s'entredéchirer sur ce terrain là. Pour ma part, j'étais passé à autre chose….

 

 

I-Mag : mais la nouvelle orientation vous a amené à faire des choix draconiens, qui en ont dérouté plus d'un…. Et qui apparaissent encore aux yeux de certains comme un recul, un renoncement, voire une trahison.

 

SJ : Je veux d'abord que vos lecteurs saisissent bien un élément primordial pour tout ce qui va suivre. L'immense virage qu'a pris Apple est en fait juste un retour aux sources, à l'élan originel de la société. Car l'une des ambitions premières d'Apple fut de rendre accessible à chaque particulier l'univers informatique, alors balbutiant.

Je ne fais après tout que revenir à ma volonté initiale.

 

D'où les choix draconiens de la priorité absolue qui fut à nouveau donnée à la facilité d'usage, de l'appareil comme des logiciels et applications qui s'y rattachent. Nous avons radicalement exclu de l'univers Apple les notions d'options pléthoriques, et parfois superflues, de paramétrages et réglages à ne plus en finir, etc.

Nous avons poussé le concept de la simplicité d'utilisation jusqu'à son paroxysme.

Et là, je vous rejoins sur la notion de choix quasi-conceptuel. Une contre tendance qui ne fut pas évidente à imposer mais qui était pourtant latente. Car la barrière d'accès était aussi dans la sophistication et complexité croissante de ces catégories de produits: ordinateurs, tablettes, téléphones, etc.

J'ai juste appliqué à la lettre ceci : Le fait qu'un utilisateur ait la capacité à gérer un nombre sans cesse croissant de possibilités et fonctions ne justifie en rien qu'on oublie d'en simplifier l'usage.

Depuis que je suis revenu, une fois encore, à la tête d'Apple, nous démontrons à chaque lancement que cette politique, loin d'aboutir à un appauvrissement des possibilités, libère au contraire l'utilisateur pour une jouissance maximale des possibilités de l'objet.

C'est pourquoi, par exemple, j'ai voulu fortement développer une organisation modulaire et évolutive de l'univers proposé. Où chacun ne prend que les éléments dont il aura réellement besoin, quitte à compléter ensuite. Avec le double avantage de ne payer que l'usage réel et de ne pas être noyé sous une masse de fonctions et options perturbant un usage serein. Le tout avec un soin particulier apporté par nos ingénieurs à la compatibilité des modules proposés, y compris dans le domaine du on-line.

 

I-Mag : et d'ailleurs, pourriez vous nous en dire un peu plus à ce propos ?

 

SJ : Oui,on pressentait bien que le futur ne passerait plus autant par l'objet lui-même et ses capacités ou logiciels embarqués, mais par l'accès et la connexion web permanente à un ensemble, un espace personnel à chaque utilisateur. Les connexions « wireless », notamment en débit mais aussi en terme de couverture du territoire et de fiabilité, connurent un développement exponentiel. C'est cette omniprésence qui a rendu possible cette nouvelle approche.

Ce futur était déjà en germe lorsque nous avions lancé l'I-cloud, initié en 2011. Cette possibilité de gérer on-line, à partir de n'importe quel appareil tout ce qui constituait votre univers : vos photos, chansons, vidéos, carnet d'adresse, messageries et réseaux sociaux, blog, jeux,etc…. bref toutes vos données et mais aussi vos applications, en ligne dans votre espace privatif.

Mais ceci n'était alors qu'une simple fonction, une option, dont j'ai voulu faire la règle.

C'est devenu le point central sous-tendant l'emploi de tout nouveau produit de ces dernières années, que ce soit smartphone, tablette, ordinateur qu'il soit portable ou non, ou même l'AppleTV. Cela a mené à leur dépouillement accru, chacun ne se distinguant plus que par leur design, leur taille, leur type d'usage (nomade ou pas, collectif, etc..) et quelques fonctions encore spécifiques.

Ce fut la fin du téléchargement, sur chacun d'eux, des innombrables applications que vous deviez installer, paramétrer, à chaque fois. Mais ce fut pour mieux les retrouver au sein d'un espace unique, sur le web, à partir de n'importe lequel de vos terminaux, ou même celui de quelqu'un autre si besoin. Les conséquences inhérentes à la perte, vol, bris du terminal devenaient ainsi moins dramatiques. Idem pour la sécurité des données, dont vous n'avez plus à gérer la sauvegarde, ou les transferts et synchronisation d'un appareil à l'autre. L'avènement d'un usage on-line centralisé a aussi permis de contourner en grande partie les turpitudes agaçantes de la compatibilité des logiciels et applications, puisque celle-ci est gérée en amont, par nos ingénieurs.

 

Pour toutes ces raisons, ce mode d'utilisation est devenue l'un des piliers de la philosophie actuelle d'Apple.

 

I-Mag : et cette tendance au dépouillement des terminaux que vous avez initié a eu un impact sur les prix…

 

Oui, si au début l'objectif d'Apple fut l'accès à la technologie à l'ensemble de la population, force est de constater qu'on s'en est éloigné avec le temps. Le positionnement haut de gamme de l'I-phone, l'I-pad, ou même l'I-mac et I-book en leur temps, en a fait, par leur prix élevé, un bien seulement acquis par une frange aisée des consommateurs.

La conséquence directe fut que la présence de nos produits auprès des consommateurs ne fut jamais longtemps majoritaire.

Or comment « changer le monde » si vous ne pouvez toucher tout le monde ?

 

Certes, pendant les mois ou l'année qui suivaient leurs sorties, les produits Apple venaient en tête des ventes, étant les seuls, ou presque. Il n'y qu'à voir le succès initial de l'I-pad pour s'en convaincre. Mais ensuite ?

La popularisation de ces nouveaux usages profitait certes financièrement à Apple. Mais l'émergence très rapide de modèles concurrents nous laissait au final à la marge de la déferlante que nous avions pourtant suscité. Nous étions choyés par la «crème» des utilisateurs, mais intouchables par la plus grande masse de la population. L'I-phone ne représentait en 2013 «que» 15% des ventes mondiales alors que nous étions les précurseurs du concept. Idem, ou peu s'en faut, pour l'I-pad.

Pour dépasser ça, le coût était un élément incontournable. L'échec, dû au prix élevé, du Lisa ou même du Macintosh tout à ses débuts le prouve.

Un tarif accessible est un point clé incontestable de notre succès planétaire actuel, même si cela ne fait pas tout.

Et cette expansion en nombre d'unités vendues est maintenant en passe de compenser les baisses de bénéfices que nous avons forcément subis au départ de cette transition.

 

Enfin, tous ces partis pris que j'ai évoqué eurent aussi pour effet d'amener à l'univers techno, par notre marque, une frange certes restreinte mais non négligeable de la population qui n'osait pas encore franchir le pas.

 

I-Mag : D'ailleurs vos concurrents, un brin ironique, ne manquent pas de faire remarquer le grand succès que connaît Apple auprès des personnes âgées, après avoir été longtemps la marque des geeks par excellence…

 

SJ : Hé bien oui, et pourquoi pas ?

De même, la marque Apple est de plus en plus répandue dans les écoles, grâce à nos partenariats avec le monde de l'éducation. Un secteur incontournable avec la généralisation de l'enseignement à distance et/ou assisté par l'informatique.

 

I-Mag : D'ailleurs, certains vous prédisent, si ça continue, un procès pour abus de position dominante.

 

SJ :( rires). On verra bien ! Après tout, dans notre milieu, ce procès là est vu aussi comme une sorte « d'Oscar du meilleur entrepreneur » !

 

Plus sérieusement, Vous savez, mes problèmes de santé m'ont fait réfléchir. Ca parait toujours d'une plate banalité à dire, mais ce n'est que la vérité crue. Ayant désormais les mains libres aux commandes de ma société, je vous livre maintenant, à la fin de ma vie, les choses comme je les imaginais au début, la vision de ce que mérite d'être notre monde dans son rapport à la technologie.

Voila ce que je voulais au départ, en dehors de toute contingence purement financière.

Au cinéma, on appellerait ça ma version «  director's cut », en quelque sorte…

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