La dolce Lya. (Pendant que dans l'antre du Diable...)
walkman
[Abandon]
« Abandonnez ceux qui s'abandonnent eux-mêmes »
William SHAKESPEARE
On broie du noir à chaque matin. Je ne lis pas l'avenir dans le mare de café mais j'y trouve mon compte. J'essaie de trouver le récit de ma soirée de la veille et de réunir des souvenirs pulvérisés dans la tentation. Rien, ça marche pas, une migraine me barre la route. Je me frotte les yeux et retourne dans le lit, soulève une jambe qui le traverse dans la diagonale pour m'allonger sans rien écraser. J'entends un léger gémissement qui trahit un réveil prématuré, la cambrure italienne d'origine ouvre ses ambres pour, semble-t-il me redécouvrir. Légèrement agacée par ma présence dans son appartement avec vue sur la mer. Pour distraire, je suis bien obligé de donner des câlins. Puis elle se détend, rit presque à mes blagues mal prononcées et finit par admettre qu'elle n'a rien de mieux à faire. J'ai usé d'un stratagème différent, j'veux dire par rapport à vous qui faisiez partis de ma quête du Graal ; tandis que là, je peux devenir qui je veux. Je lui dis, donc, ce qu'elles rêvent toutes d'entendre. En plus d'être stable, je voyage seul et mon cœur est à prendre.
Quand la vérité n'est pas là, il y a le Diable qui danse. Et là, le Diable, c'est moi. L'après-midi devient une véritable poésie lyrique. Se baladant dans une nuisette légère sous un sortilège de Tchaikovski, avec ses atouts féminins en transparence, les artifices interdits et l'état de transe. Elle dandine et cela donne de la grâce aux tâches les plus vulgaires. Elle me tourne autour, me bombardant avec parcimonie de baisers chirurgicaux. Entre deux soins, je me rends compte de comment doit être long le temps en Enfer, si les sirènes viennent susurrer à vos oreilles des fables romantiques. Mes dents s'enfoncent timidement dans sa peau et elle glisse sa main sur ma nuque pour empoigner mes cheveux et me maintenir de force contre ses lèvres chaudes. Rien d'aussi efficace n'aura été fait. Je succombe sans avoir eu besoin de résister. Il me tarde de pouvoir graver une telle ignominie dans ma mémoire de profane.
Sans jamais avoir besoin de mots, de codes ou de signaux. Faisant sauter les bretelles d'une robe légère, exhibant nos différences. On s'abandonne. Est-elle celle qu'elle prétend être ? Est-ce que je ne suis pas en train de perdre une partie de moi dans le mensonge ? Trichons, mentons nos noms et nos histoires empêchant ainsi la flamme de durer. La première fois depuis longtemps que je n'ai plus besoin de boire pour éprouver ça. La sensation de voler l'identité d'un fantôme, d'attiser les démons sans artifices. D'être enfin moi en me faisant passer pour quelqu'un d'autre. Alors elle danse de toute sa sensualité. La muse se cambre, dressant soudainement le profil parfait de ses courbes vertigineuses, plongeant mes neurotransmetteurs dans la dopamine. Des geysers et des geysers de silence, mais des regards bien bavards. C'est peut-être ça la vérité qu'on cherche tous. S'abandonner soi-même au profit d'une situation. D'où nous venons ne compte pas, ce que nous serons non plus ; il n'y a que l'appartement, la partition de piano et l'alchimie. Elle en vient aux mains, une petite caresse sur ma joue se promenant sur les reliefs d'une barbe naissante, et puis ses yeux me percent pour déceler le mystère. Je m'affaire à ne pas tomber amoureux. C'est une maladie grave de ne pas être capable de refuser la présence d'une seule de ces créatures. Au delà du sordide besoin de se reproduire c'est pour la chimie que je me drogue régulièrement. Un baiser dans lequel je pourrais inspirer la féminité et la sensibilité. Me nourrir d'un charme et de l'emprisonner. Se rendre compte le lendemain matin que le virus volé m'a vacciné. Un cœur libre sait aimer, il est même très doué pour ça, le truc avec la liberté c'est que c'est une ambiance, par définition elle ne peut pas être posséder. On peut tout juste la créer et la regarder s'envoler.
Elle atterrit sur le lit, la muse, et son goût de pèche s'empreigne peu à peu à mes lèvres, contaminant ma tête pour l'accoutumer. Elle s'offre et fait de moi son captif. Pris dans ses bras, ses draps m'attachant au matelas, figeant la raison à l'autre bout de la pièce. Je n'ose même pas ne pas immortaliser. La douceur de ses gémissements, l'irrévérence de la déformation de son visage au moment fatidique. Et le diable qu'elle finit par expulser du désir. On ne sait pas aimer. Cela ne veut rien dire de s'attacher à quelqu'un qui refuse de s'enraciner. J'ai presque tout laissé tomber.
Je me redresse au pied du lit, elle replie ses jambes et appuie ses genoux contre sa poitrine. Je vois la mer, et cette plage, cette putain de plage. Tu n'y es toujours pas. J'ignore beaucoup de choses sur toi. Mais j'avais imaginé que tu serais curieuse au point de me rejoindre. Peut-être que je me trompais moi-même, en jouant l'amant avec la muse. Mais pourquoi ferais-tu une chose pareille ? Comme tu peux le constater, je n'essaie pas de te séduire, je transcris la vérité. Je me suis abandonné.
Je me lève et embarque mes affaires. Je passe devant Tchaikoski et sous le plafonnier qui souffle. Il fait chaud dans l'antre. Avec mon pied nu je caresse le carrelage gris, puis j'évacue un profond soupire. A croire que les démons sont portés par le vent.