LA FAISEUSE DE PLUIE.

Hervé Lénervé

Un petit conte pour se remettre dans le bain.

La sécheresse sévissait sur la campagne. Trois mois, sans une goutte d'eau et le soleil ardent réduisait chaque jour le morale des agriculteurs en même temps que leurs récoltes grillaient sur plans. J'étais enfant à cette époque et mes copains l'étaient aussi. Nous étions tous fils d'agriculteurs et en dehors des heures d'école nous aidions déjà, de nos faibles forces, aux travaux des champs.

Quand la situation devint critique, le village se réunit en assemblée de crise. Les anciens que peu écoutait, dire qu'ils avaient déjà connu de pareilles catastrophes par le passé et que pour sauver les récoltes, ils avaient fait appel à un faiseur de pluie. Des protestations s'élevèrent dans la salle communale de toutes parts. « Arrêtez un peu avec vos chimères et vos croyances de bonnes femmes ! »

Le maire essaya d'atténuer les esprits surchauffés par le désespoir.

-         S'il vous plait messieurs dames, calmez-vous ! Contre le temps, nous le savons, de mémoire de paysans, il n'y a rien à faire, nous avons toujours été soumis à ses caprices. Maintenant quel mal y aurait-il à recourir à un faiseur de pluie, cela ne nous empêche pas de prier Dieu pour qu'il fasse un miracle !

-         Combien, ça nous coûtera encore, cette histoire ? Aboya un cultivateur terre à terre.

-         On peut toujours se renseigner, c'est gratuit, non ?

L'argument de la gratuité réunit les opinions sur le même avis « Renseignons-nous, on  pourra toujours voir après. Mildiou !

Une semaine plus tard, sans que la pluie ait daigné montrer le bout de ses gouttes, le maire convoqua ses administrés pour leur présenter le faiseur de pluie qu'il avait déniché. Bien sûr tous étaient là et nous les enfants aussi, bien présents jusqu'au dernier de trois ans qui semblait qu'à moitié concerné.

Le faiseur de pluie était de faite, une faiseuse de pluie. Une jeune fille, encore une enfant comme nous, mais comme les filles éclosent comme des fleurs aux mêmes âges où les garçons n'en sont qu'aux boutons sur leur front. Elle avait déjà les formes d'une jeune femme. Fine et gracieuse, un sourire soleil sur son visage qui n'augurait en rien les promesses d'une pluie drue. Sans nous concerter encore, je sus qu'on en était déjà tous amoureux. Une seule apparition avait suffi pour séduire toute la bande de gamins qu'on était.

La fille prit la parole de sa voix mélodieuse aux accents de jeunesse.

-         Je ferai pleuvoir sur vos labours en moins d'une semaine, combien de jours, voulez-vous que dure la pluie ?

-         Combien cela nous coutera, ton histoire ? Toujours le même.

-         Mille francs payable à la première ondée qui vous sauvera.

-         Quoi ! Mille francs ! Mais c'est énorme ! Tu veux nous saigner aux quatre labours !

-         Cela n'est rien, juste une goutte d'eau par rapport à la perte totale de vos semences et de votre année de travail. De plus, je ne me fais payer que si j'obtiens un résultat, que risquez-vous, sinon le fait d'y croire, d'attendre et de me faire confiance ?

L'assemblée fut conquise à contrecœur, alors que nous, les garçons, l'étions déjà depuis longtemps, mais de plein cœur.

La jeune sourcière ou sorcière, moi je l'appelais ma fée, parcourut les champs en chantant le sien, une mélodie lancinante et répétitive, des incantations destinées à amadouer quelques divinités dissimulées dans les hautes profondeurs des cieux. Je passais mon temps à l'épier de loin, je connaissais le terrain et toutes ses cachettes, pourtant elle m'avait découvert dès le premier jour.

-         Pourquoi me suis-tu en te cachant ? Viens marcher à côté de moi, tu ne perturberas pas ma concentration.

-         Je ne voulais pas te déranger !

-         Viens ! Te dis-je, où je te transforme en océan.

Et je vins. Parfois en marchant sur les sentiers défoncés par les engins agricoles, nos corps perdaient de leur équilibre et nos coudes se coudoyaient, ce contact m'était plus délicieux que tous contacts que j'avais déjà connus, sa peau plus douce et chaude que celle du lapereau.

Au bout de trois jours, les premières pluies arrivèrent dans l'allégresse générale et à cet instant, nul doute que, pour tous, la faiseuse de pluie en était responsable et à cet instant, nul doute qu'elle aurait été payée. Mais après une journée d'une pluie fine, les hommes, les femmes commencèrent à se dire entre eux : « La belle affaire ! La pluie est venue, car elle devait venir, voilà tout ! Est-ce les gargouillis spasmodiques de cette sorcière, est-ce nos prières à notre Dieu qui ont été écoutés ? Où la Nature, elle-même, sans aide de quiconque ? Nul ne le sait et mille francs ce n'est pas rien, c'est une somme, en somme ! »

Le village se réunit encore et il fut décidé après un vote à l'unanimité qu'on ne payerait rien. Le maire qui connaissait notre attachement complice, me demanda de l'accompagner pour annoncer la mauvaise nouvelle à la faiseuse de pluie.

-         Petite, je suis désolé, mais mes administrés disent que tu n'es pour rien dans le changement de temps… et…

-         Et ils ne veulent plus me payer ! Je sais, j'ai déjà vécu cela.

-         Tu les comprends alors ?

-         Je peux les comprendre, oui, mais ils ont tort. Car si je peux faire pleuvoir, je peux aussi faire d'autres choses. Adieu monsieur, au revoir gamin. Dit-elle en m'embrassant sur les deux joues.

Je ne devais jamais la revoir et pourtant il n'est pas un jour où je n'ai pas une pensée aimante pour elle. Elle est toujours dans ma mémoire et dans mon cœur. Alors que je décline aujourd'hui, mes parents sont morts, comme la majorité des adultes de cette période de sècheresse. Ils sont morts ruinés après avoir essayé de revendre leurs terres et leur ferme à des gogos, mais aucun gogo ne voulut investir dans une région sinistrée, car depuis ce temps de la naissance de mon amour et de la survenue de la pluie, jamais elle ne cessa. Nos parents partirent vers les grandes villes pour y travailler à l'usine. Propriétaire fiers de leurs terres et de leur travail de nourricier du Monde, réduit au prolétariat, dans un travail alimentaire. Voilà, cinquante ans qu'une pluie ininterrompu s'abat sur les terres de mon enfance et sur mon cœur. Les sols gorgés d'eau ne suffisent plus à évacuer les précipitations, la région est devenue un marais sauvage où aucune culture d'homme n'est envisageable.

Avez-vous déjà vu un cataclysme naturel pareil, hormis par malédiction divine ou magique pour le moins.

Signaler ce texte