La femme à la cravate noire

geraldine68

Rencontre surnaturelle avec un personnage de tableau peint par Modigliani

"Ouvre les yeux !". Ces mots, lointains, s'accompagnent d'une paire de gifles dont j'en ressens soudainement les effets comme si elles venaient du tréfonds de l'univers. "C'est bon, tu es avec moi ? Tu m'entends ?". Hébété, je soulève mes paupières, lourds écrans qui dévoilent petit à petit, dans un rai de lumière exponentiel, le monde qui m'entoure. Une femme est là, à mes côtés. Noeud de cravate. C'est tout ce que je distingue. Son visage, à contre-jour, émerge dans un halo de lumière bleutée, tel un ange qui descendrait sur terre pour me cueillir et m'emporter.

Je suis au sol. Carrelage froid. Bizarrement, une douce chaleur m'enveloppe. La femme paraît jeune. Chemise blanche. Mais pourquoi une cravate ? Soudain, je me souviens. La galerie d'art. La rétrospective italienne. Modigliani. Ce tableau énigmatique. La femme à la cravate noire. Interpellé par ce regard triste, je me suis approché. Elle me regardait, j'en suis certain. Comme un appel au secours. Puis le trou noir.

Et maintenant elle vit. Elle me parle. Mes oreilles ne peuvent donc pas me jouer de tour ! Je la vois aussi, mes yeux ne me mentent pas, bon sang ! C'est bien elle, la femme du tableau ! Elle m'a pris la main, c'est bien une sensation avec laquelle on ne peut tricher !

J'essaye de me lever. Je n'y parviens pas. Comme si je pesais une tonne. Je suis un brin désemparé. "J'ai ressenti ta curiosité, elle a joué comme une force irrépressible, c'est toi qui m'as appelée", me dit-elle. Comment ça je l'ai appelée ? C'est n'importe quoi. Allez les gars, sortez de votre cachette, ça ira pour cette fois, j'ai compris la plaisanterie... Mais rien ne se passe, nous sommes seuls, elle et moi.

"Bientôt un siècle que je végète dans ce tableau, et toi, d'un seul regard, tu as tout compris. Ce n'est pas seulement ta culture, c'est ton humanité", poursuit-elle. D'un coup, une espèce de légèreté me soulève. Libéré, je m'assois, je la regarde. Je lui prends la main, moi aussi. Et je comprends tout. J'ouvre enfin la bouche. "Je m'appelle Amedeo. Allez viens, on s'en va".

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