La frangine à Jo

le-fox

- J’t’ai déjà dit de pas tourner autour de ma sœur, toi…

- Moi ? Y’a gourance ! J’lai pas approchée, ta frangine !

- Ben tiens, bonne poire. J’aime pas de trop tes manières. Encore une fois, et j’t’allume. 

- Et moi, j’te répète qu’y’a gourance. Tu baignes dans les mirages. Tu te fais des berlues.

Le Jo, ni une ni deux, il lui allonge une mornifle grand format, à P’tit Louis.

- Et ça, c’t’un mirage ?

Faut admettre que non. C’est même du solide. De l’épais. N’empêche que le Jo, avec sa sœur, il commence à lui cavaler sur le pardingue. C’est sa faute, à lui P’tit Louis, si c’te polka a le feu au dargif ? Nature, qu’elle lui a déjà proposé le coup d’arbalète, c’t’usine à salpingite ! Mais lui, pas louf, polop ! Si y’en a que ça démange d’risquer l’coup d’surin dans le baquet rien que pour tâter le valseur à c’te souris, libre à eux !

Dommage, en un sens, parce qu’elle est bien gaulée, la biche. Les boîtes à lait à éclater sa roupane, le faubourg monté sur roulement à billes, des flûtes de gail pur sang, une frime d’ange aux coups de sabord vicelard… Sûr qu’elle a toute la mécanique d’une trottineuse au poil ! Si c’ballot de Jo était pas si jalmince, il la refilerait sur le Sébasto ; comestible comme elle est, y’aurait de l’oseille à affurer. Seulement voilà : il voit pas son intérêt. « J’ai promis à mon dabuche qu’elle finirait pas aux asperges, et sur son pageot de défunt, encore », qu’il dit. P’tit Louis, ça le fait miter, un manque de moralité pareil. Une faute, quoi. Que le dabe à Jo, il ait débloqué sur la fin, ça s’expliquait. Les bibards, ça a des vapes. Mais que le Jo se soye mis dans la caboche de la fourguer dans l’honnête, avec le marida et le toutim, ça le dépassait.

- Je sais à quoi tu penses. Qu’ma frangine, elle te ferait une bonne gagneuse.

- Eh, Jo, débloque pas. Rengracie, quoi. Sûr que c’est tartouze de la laisser en congés payés. Mais je m’en installe pas de te dire ce que t’as à maquiller.

- ‘core heureux, biset…

Biset ? C’est pas un caïd, P’tit Louis, juste un barbeau attelé, mais biset, y’a de quoi aller au renaud. En silence, il a pas envie de s’emplâtrer une deuxième tournée de tisane. Laga, au fond de l’impasse, le Jo, il lui rend le double-six, et large. Mais patience : la rebiffe, ça peut se claper froid.

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- Salut les hommes ! Et tant pis si j’me trompe.

- Salut, Jo.

Il taille son chemin vers le zinc, ça se bouscule. A l’apéro, y’a du trèfle, chez la mère Bouche.

- Dis donc, Marcel. Tu sais ligoter, toi ?

Le loufiat dit que oui, bien obligé avec les comptes.

- Ben alors, bonnis-moi c’qu’y a là-dedans.

Il lui tend une bafouille. Le Marcel, il gaffe le papelard, pis il change de couleur. Un bleu, pas très folichon.

- Vous êtes sûr, m’sieur Jo ? A voix haute ?

- Textuel. Roule, mon pote !

Il se marre. Pas longtemps, parce que Marcel :

- « Ta frangine, j’ai vu ses trous. Elle en a deux : un qui te ressemble, et un qui t’emmerde ». C’est pas signé…

Avec sa cervelle de poids lourd, faut qu’il gamberge pas mal avant d’entraver. Seulement, dès que ça y est, attention : le rouge est mis. Faut pas être sorti de Polytechnique pour savoir d’où vient le coup. En deux coups de fumerons il se retrouve devant la carante où la tierce à P’tit Louis tape les brèmes, rapière à la pogne. Mais là, il s’est fargué, P’tit Louis, et avec de l’artillerie pour adulte. Sans moufter, avec un vilain rictus qui lui découvre les crochets, le v’la qui balance toute la sauce dans le buffet du grand Jo.

- De la part du biset, qu’il fait.

Il a l’air étonné, Jo. Juste étonné. Comme si il venait d’effacer une praline maousse, balancée par un cador de la boxe. Il lâche sa lingue, il a mal. Et puis c’est la ruée, les mains en avant, taureau de combat. P’tit Louis a pas le réflexe : il était sûr d’avoir assaisonné. Surpris il se cramponne à son soufflant, appuie sur la détente : clic, clic… Six bastos, quatre dans la couenne à Jo, deux dans la nature… Pas le temps de faire les comptes, ni de se choper le tracsir, il se retrouve avec deux battants autour de la cravate. Pour la forme, il tente un taquet en vache, mais il sent plus rien, l’autre. Il serre. P’tit Louis manque d’air ; Jo, il est peut-être déjà mort, allez savoir, mais il crève pas tout seul. « Tout ça pour une souris », a le temps de penser P’tit Louis, avant de filer au paradis des macs.

C’est comme ça que les bourres les ont retrouvés : affalés sur le plancher, emmêlés dans une mare de raisiné. La mère Bouche a dit comme ça que depuis toujours, ils pouvaient pas trop se piffer.

D’ailleurs, ils s’en foutaient, les perdreaux. Deux marlous en moins, c’est pas ça qu’allait les empêcher de dormir.   

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