La fuite en avant

tarick

Je cours, cours, trébuche et m’essouffle. Je dois pourtant reprendre ma course. Je ne sais pas où je vais, ni pourquoi j’agis de la sorte. Je ne sais même pas si j’agis réellement ni où je suis. Je cours jusqu’à rencontrer sur ma route un point de contrôle que je ne peux éviter.

Trois situations distinctes m’apparaissent presque simultanément.

Dans la première, une colline de rochers m’empêche de poursuivre ma fuite sur la plage.

Dans la seconde, je m’arrête devant le guichet d’une compagnie aérienne dans un aéroport.

Dans la troisième, je suis dans la file d’un péage sur l’autoroute.

Je n’ai pas le temps de déterminer en quoi ces situations altèrent ou définissent ma réalité. Je suis un rat dans le labyrinthe de mes pensées. Je trébuche sur mon premier obstacle. Une lumière m’éblouit. Les trois situations se répètent.

Dans la première, j’arrive au point de contrôle avant l’embarquement sur l’avion.

Dans la seconde, je suis au pied de la colline de pierres en bord de mer. Pierres que le temps finira par transformer en graines de sables.

Le temps, voilà une notion qui ralentit le défilement de mes pensées. Depuis combien de temps a commencé ma fuite ? Le temps écoulé m’indiquerait où je suis. Il me permettrait de mesurer la distance de vie parcourue,  de définir un Avant et un Après afin de remonter le fil continu du présent. Mais le temps me fuit comme je fuis l’imperceptible danger.

Des voix m’interpellent :

-          Où allez-vous ?

-          D’où venez-vous ?

-          Vos papiers s’il vous plaît.

-          Montrez-moi vos yeux.

-          Arrêtez-vous.

-          13,50 euros, s’il vous plaît.

-           

La dernière voix est un lourd silence.

C’est comme si une multitude d’interlocuteurs, dont le néant, s’était dressée devant moi. Ma raison me souffle qu’il n’y en a qu’un, d’interlocuteur. Je fouille mes poches pour répondre à mes interlocuteurs, et je me rends compte, dans mon agitation, que je traîne un bagage. Un bagage sur des roulettes, un bagage sur la banquette arrière du véhicule, un sac à dos dans ma course effrénée sur la plage. Ce bagage doit contenir une partie de mon passé.

Les voix et le silence se répètent et m’obligent à tendre le contenu de l’une de mes poches. Les interlocuteurs l’examinent. J’oublie mon bagage, cette fenêtre vers le passé, et mon désir de fuite, cette fenêtre vers l’avenir. Toute mon attention se concentre sur cet examen rigoureux auquel les voix me soumettent. Comme si elles jaugeaient mon désir d’évasion.

On me laisse passer. Alléluia ! Ma réussite occulte le danger qui me menace toujours. Le succès m’inonde d’un flot de pensées positives.

J’embarque dans l’avion, j’entame l’escalade de ma colline rocailleuse, je rejoins la bifurcation d’autoroute. Je ne sais pas encore où je vais, ni d’où je viens, mais j’ai franchi une étape. Et c’est la seule chose qui compte à cet instant.

Je suis un radeau pris dans le courant de la fuite. Une branche avait obstrué ma route vers la fuite et je m’en suis dégagé.

Je n’ai rien fait d’autre que de répondre aux voix. Fuir revient à faire taire la voix du quotidien pour entendre celle de l’aventure. C’est remplacer les instincts devenus habitudes par d’autres que l’on découvre ou que l'on croit découvrir.

Les voix étrangères ne sont pas aventurières. La fuite est en moi. Fuite que je ne maîtrise pas.

Je revis la situation où je conduis un véhicule sans savoir s’il me conduira à destination, quelle que soit celle-ci. Je contrôle la jauge d’essence, celle de la température. Tout va bien. Peut-être dois-je simplement ralentir pour me défaire de cette épée de Damoclès qui plane au-dessus de ma tête. Mon pied ne veut pas se retirer de l’accélérateur. Mon sentiment d’insécurité s’accroit. Ce soudain frisson me fait appuyer sur le champignon.

Je change à nouveau de décor pour me retrouver suspendu à cette colline rocheuse que je gravis sans en voir le bout. Dans mon dos, la plage est vide. Une sirène m’appelle, mais son chant ne provient pas de l’horizon bleu qui se dessine sur ma gauche. Je ressens sa présence de l’autre côté de la colline. Je suis pieds nus. La plante de mes pieds résiste aux angles pointus des rochers. Rochers qui deviendront sable.

Dans l’avion, les consignes de sécurité retentissent. On nous demande de couper nos cellulaires et d’accrocher nos ceintures. Je n’ai pas entendu la destination du vol ni son numéro. L’avion démarre.

Je sors du coma. Un médecin en blouse blanche est penché sur moi. Il me parle. Je le soupçonne d’inspecter mon état de conscience. Il a raison, il pourrait m’éclairer de sa petite lampe.

Il m’informe que j’ai été retrouvé une première fois sur une plage au pied d’une colline. Une seconde fois dans un véhicule accidenté le long de la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute. La troisième fois, je flottais muni d’un gilet de sauvetage au beau milieu de l’océan.

J’ouvre les yeux sur la vie. Je me souviens de tout.

Je suis un banquier qui a fait perdre de l’argent à ses clients.

Je suis un écrivain qui rêve de publier son manuscrit.

Je suis un don Juan et ma muse virtuelle habite à l’autre bout du pays.

Une de mes existences m’offre un nouvel emploi dans la finance.

L’autre, une chance inouïe de réaliser le rêve d’être publié.

La dernière a mis sur mon chemin une Princesse.

La voiture accidentée me conduisait dans le sud de la France à la rencontre de cette Belle qui se cache derrière un pseudonyme et des mots aigres-doux.

L’avion me conduisait vers mon nouveau poste de manager dans la City londonienne.

Grimper la colline me permettait de faire le grand saut dans l’océan de mes ambitions littéraires.

J’ai reçu trois appels pour l’aventure. Les gardiens de mes rêves m’attendent sur le seuil d’entrée de leur sanctuaire respectif au sein duquel ils me promettent de trouver réussite, épanouissement, et nouvelles habitudes.

J’ouvre les yeux sur le médecin qui m’interroge :

-          Savez-vous où vous êtes ?

-          Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé ?

-          Vous rappelez-vous de votre nom ?

Je referme les yeux et continue de courir. Toujours plus vite. Au point d’en perdre l’équilibre.

Synopsis

C’est l’histoire d’une reconstruction par l’appel du grand large.

Un homme sortant du coma expérimente simultanément plusieurs situations. Il ne parvient toutefois pas à déterminer s’il s’agit de projections du passé l’ayant conduit à sa situation actuelle, de projections d’avenir symbolisant les rêves qu’il souhaiterait accomplir, ou de moments présents floutés par son rétablissement difficile.

La vie avance et il s’empresse d’aller vers l’inconnu pour se retrouver.

Dans sa quête, le narrateur-protagoniste rencontrera des alliés, des ennemis et sera constamment suivi par son médecin à blouse blanche. De plus, le protagoniste devra franchir des étapes et reconstruire une réalité à travers les morceaux de vie qui le mettent à l’épreuve.

Le malade ne manquera pas de chuter, rechuter, rebondir et douter à mesure qu’il rencontrera les obstacles extérieurs le séparant de l’accomplissement de son Moi intérieur.

La quête est un voyage dont le personnage principal devra venir à bout pour se réaliser, ou pas.

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