La gueule de l'emploi

Bastien Bachet

Je suis né dans l'Allier en 1979 d'un père cheminot et d'une mère employée à la sécurité sociale, à la maison on portait assez haut la notion de stabilité de l'emploi et d'ascension sociale. Moi je lisais tous les bouquins qui sortaient chez Castors poches et j'écrivais des resucées de Mark Twain qui plaisaient à ma prof de français, l'emploi je m'en tapais pas mal.

Pourtant, j'embauchais dès quatorze ans pour le ramassage de poulets dans le nord du département. C'était un boulot d'été qui se faisait de nuit, dans la puanteur, la fiente et la mort, et j'ai vite compris ce que travailler voulait dire. Donner de son temps contre de l'argent. Je lisais alors Agatha Christie, Hitchcock, Stephen King et j'étais trop occupé pour écrire quoi que ce soit.

Ensuite les maïs, puis les colos, comme animateur, je vois du pays, je découvre Kerouac et Henry Miller. Je décide que le monde est un vaste terrain de jeux et que je ferai tous les boulots pour le parcourir. Je commence à barouder, je noirci des cahiers. Les restaurants deviennent pourvoyeurs de salaires, commis, cuistot, plongeur, tout ce qui se présente. Crêpier breton en Autriche, larbin de salle à la Ciotat, plongeur à Londres, barman dans les dolomites. À ce moment là, c'est des gars comme Hesse ou Dostoïevski qui égaient mes soirées, je reprends l'écriture pour organiser mes souvenirs.

Je pose mes bagages à Paris où pendant dix ans, je fais tout ce que je trouve, déménageur, colporteur, bouquiniste, animateur, volontaire au service civil, ouvreur… Je dévore Raymond Carver, Hunter Thompson et Bukowski et je me mets à écrire des nouvelles.

Je décroche mon premier CDI dans un cinéma, à l'accueil, je découvre Larry Brown, Jon Raymond, Eric Miles Williamson. Je me lance dans l'écriture d'articles pour le web, j'en ponds deux cents en deux mois. Mon premier chèque grâce à l'écriture.

Mes nouvelles se transforment en novella, j'en présente une à un réalisateur de cinéma qui a un coup de cœur et achète une option sur les droits. Mon deuxième chèque grâce à l'écriture.

Je change d'air et débarque à la limite du Sud Essonne, je trouve un boulot dans une médiathèque et je continue d'écrire. Je publie mon premier roman, il s'appelle Ford Mustang et a été écrit avec Adrien Cadot, c'est un roman d'amitié virile en montagne, une tragédie postmoderne, un truc noir et lumineux. Un retour au territoire, mais où la stabilité de l'emploi et l'ascension sociale ne sont plus ce qu'elles étaient.

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