LA JEUNE FILLE A L'OMBRELLE
Guillaume
LA JEUNE FILLE A L’OMBRELLE
Je me suis arrêté au détour d’un chemin, là où la prairie descend en pente douce vers l’étang. De loin, je pouvais voir les araignées d’eau glisser sur la surface lisse pour échapper aux carpes qu’un héron du voisinage attendait patiemment. A l’abri des saules, je me suis assis et j’ai regardé les nénuphars et les iris d’eau.
Dans le ciel bleu d’une fin de printemps, par delà les peupliers, de gros nuages blancs s’amoncelaient. Les hirondelles virevoltaient au-dessus des arbres tandis que les grillons chantaient.
Ce fut d’abord un bruit de sabots que j’entendis. Sur une jolie jument isabelle, assise en amazone, une jeune fille en robe blanche s’arrêta. Légère, elle descendit de l’animal qui s’était mis à cueillir de grandes graminées.
La jeune fille regarda les alentours et tandis que je me dissimulais au pied des vieux saules, elle s’approcha de l’étang. Protégée sous son ombrelle, les cheveux noirs bouclés rehaussaient son teint couleur de lait, signe de bonne famille. Jamais, je n’avais vu telle beauté.
La brise, en souffles légers, agitait le feuillage délicat des saules et des peupliers argentés. Pendant de longues minutes, la jeune fille à l’ombrelle arpenta les berges, s’arrêtant un instant avant de reprendre sa promenade. A la lisière du bois, je pouvais voir la jument brouter les herbes sauvages. Le monde sembla s’arrêter. La jeune fille leva les yeux. De gros nuages noirs encombraient maintenant le ciel. Les hirondelles rasaient la surface de l’étang tandis que les grillons s’étaient tus.
L’ombrelle se replia et la chevelure noire se hâta vers l’orée des arbres. La jument avait relevé la tête, c’était l’heure de rentrer.
Les bourrasques charriaient des torrents de feuilles arrachées aux arbres. La nuée noire approchait, voilant déjà les alentours. Des traies de pluie commencèrent à éventrer le ciel d’orage au-dessus de l’étang. Sous le vent furieux, les herbes et les arbres se courbèrent. Des milliers de gouttes transpercèrent la surface de l’étang. Le vent cessa enfin et l’on entendit plus que le bruit de la pluie sur le feuillage de la végétation. L’eau ruisselait dans mes cheveux emmêlés. Mes habits étaient trempés. J’étais dans la nature, j’étais la nature et un bonheur aigu m’envahit.
Je revins bien dès fois contempler l’étang mais jamais je ne revis la jeune fille à l’ombrelle.
Bien des années plus tard, devenu vieil homme des villes, je revins par hasard en ce lieu. Plus de rives sauvages ni de saules baignant leur pied dans les berges molles de l’étang mais des pelouses peignées et quelques arbres bien taillés. Ce ne fut pas la femme mais l’ombrelle à la blancheur pure que je vis. La femme était ordinaire et ridée, grand-mère qu’elle était devenue. Et pourtant, le souvenir de sa noble beauté était intact, comme si nos vies n’avaient duré qu’un instant. Je ressentis l’émotion du jeune homme que j’étais ce jour-là. Le bruit de la pluie avait fait place aux cris des enfants. Soixante années plus tard, je retrouvais la jeune fille à l’ombrelle. Si la jeunesse ne dure que le temps d’une fleur, son souvenir, lui, est éternel.
J'adore redécouvrir les choses sur un autre angle. Avec votre histoire, vous me permettez de rédécouvrir ce tableau. Un double merci
· Il y a environ 13 ans ·miss-foxy
vraiment magnifique!! quelles émotions!! j'aime beaucoup.
· Il y a environ 13 ans ·mag
J'aime beaucoup comme vous décrivez la scène comme on découvre un tableau dans ces moindres détails. Et, venant de moi qui n'aime généralement pas les descriptions dans les bouquins, c'est vraiment un compliment ! ;-)
· Il y a environ 13 ans ·swoo
magnifique, encore pleine de frissons, j'étais là...............
· Il y a plus de 13 ans ·lys