La journée de Monsieur Caponerie du back-office

Achille Voltour

Cette petite trace de sucré au bout de son nez ne lui épanouissait pas vraiment la rate. Sans parler de ces mesquines pyramides miniatures, acérées, toujours en mouvement, tel une poignée de clous balancés dans le tambour fou d’une essoreuse, qu’il s’était logé lui même, là au cœur de son estomac. Le frottement de la trouille bleue avait ceci de paralysant chez notre bonhomme qu’il la vivait agitée dans les cinquantièmes hurlants d'une stupeur chavirée où jamais la mer ne retombe en la bonace. Dès le jeudi soir, dès la fin du second rendez-vous hebdomadaire, il se laissait effrayer par lui-même. Et ainsi de suite jusqu’au mardi 20 heures, heure du premier hiatus bienfaisant de la semaine, car celui du premier rendez-vous. Il était deux fois une demi-heure par semaine en apesanteur, observateur de son chagrin et de sa trouille bleue.

Ce jour était un jour comme un autre. La nuit l’avait bien harcelé. La peur du noir est chez lui géométrique, des formes toujours pointues, des angles très aigus, se matérialisent en crachant des blagues impossibles, pour l’abandonner au petit matin dans le bain de sang de ses cauchemars. C’est pourquoi il dormait très peu longtemps. En revanche, il s’endormait souvent. Ce qui fait des litres et des litres de sueurs. Il eut préféré les pollutions d'un bouquetin mais non, il suait.

Ce jour était un jour comme un autre. Il s’était levé avec la peur blanche qui chez lui est galopante. Du jeudi, après le second bon hiatus, au mardi, avant le premier, il se retrouve encavalé au fait pointu de la pétoche. La première du jour se situait au bout du couloir. Première frousse, une éclaboussure souvent mais aussi parfois les petits restes très durs de quelques abus chocolatés. De la forme extraite dépendait sa position. Debout quand il fallait beaucoup de papier ou assis quand il en fallait peu.

Ce jour était un jour comme un autre. Le son  "argh" toujours en suspension dans sa gorge quand il passe sa carte magnétique dans le lecteur à l'entrée de la porte automatique de l'endroit où il s’en va justifier son salaire. Argh ! à l'idée d'avoir tant moité ses mains qu'aucun signal ne serait enregistré dans la pointeuse informatisée. Qui sait ? Sans trace informatique d'introduction ses contrôles de gestion ne borderaient pas au cordeau les ordres des seigneurs. Les écarts seraient abyssaux et les positions sans valeur. Il serait châtié ! Tout se passa comme d’habitude bien, la porte s'était ouverte et son nom parfaitement prononcé par la voix synthétique qui lui souhaita BONJOUR MONSIEUR CAPONERIE VOTRE TERMINAL EST MAINTENANT ACTIVÉ. Les écrans s'éveillèrent et le chant aigres des transactions se matérialisa dans le clignotement des lignes de crédits qui n'attendaient plus que lui pour être dignement présentables. Il était temps de maintenant faire attention à tout, chaque jour le monde risquait de chavirer, plus inquiétante encore la présence sur sa nuque du souffle d'un Indien lui causant anglais en attendant qu'il plante un paiement pour prendre sa place. Frayeur.

Ce jour était un soir comme un autre. Au pub de l'Etoile de la rue de Presbourg la cravate défaite et les fesses sur le tabouret attendant que le dealer de coke passe à ses côtés sans le voir. Que la pute de luxe clignote des lèvres en jetant un oeil par dessus son épaule sans même le regarder. Lui, la main collée sur une pinte fraiche et les yeux dans le miroir. Le corps tremblant tout entier à l’intérieur.

Ce soir était un soir comme un autre. Pire encore puisque nous n’étions ni mardi ni jeudi. Il n’allait pas pouvoir prendre le temps une demi heure durant de chercher à comprendre pourquoi en se couchant, en se levant, en marchant, en travaillant, en mangeant et en pensant qu’il faudrait qu’il baise, pourquoi toujours il alourdissait de peur son coeur et son corps ?

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