La jungle apprivoisée
Emilie Levraut Debeaune
La jungle apprivoisée
J'essuyai mon front dégoulinant de sueur dans ma manche. L'effet fut peu concluant, l'humidité ambiante avait depuis longtemps détrempé mes vêtements. Je soupirai, pour la énième fois. Cette mission ne finirait donc jamais ?
J'évitai une flaque de boue et repoussai une feuille de bananier. Je refrénai un hurlement quand je vis un énorme scolopendre s'enfuir.
Il me fallut un moment avant de pouvoir toucher la plante à nouveau. Comme pour la plupart de ses congénères, elle avait souffert de ce long hiver. Manque de luminosité, froid... L'arbre végétait. Je réprimai un rire en pensant « C'est le cas de le dire ! ». Ses feuilles étaient atrophiées, soient marron desséchées, soient vert pâle quasi transparent.
Je sorti la machette et coupai les feuilles trop abîmées pour être sauvées. Cela aiderait les nouvelles à prospérer.
Je me tournai et vis le kumquat. Il avait plutôt bien survécut à l'hiver. Il possédait encore des feuilles, n'avait pas attrapé de cochenille, et commençait à fleurir. Je réfléchis à ce que je savait des agrumes. Ils aiment l'eau et sont gourmand. Je diluai un peu d'engrais à mon eau et l'arrosai abondamment. Il faudrait éviter de manger les premiers fruits pour ne pas ingérer l'engrais, mais l'été était encore loin et l'arbre aurait le temps de l'évacuer d'ici là. Par contre, le niveau de la terre avait bien baissé. J'en rajoutai, non sans en renverser à côté.
Je passai ensuite aux petits pots. Je dus jeter une orchidée, en rempoter une autre. Je frémis devant un perce-oreille qui s'en alla nonchalamment, dérangé par tout ce remue-ménage.
L'aloé était superbe, le ficus trop mouillé. Je vidais le cache pot et enlevai les quelques feuilles jaunes. Tout devrait rentrer dans l'ordre comme ça.
Bon, les plantes allaient bien. Je me relevai pour jauger l'ampleur de ce qu'il me restait à faire. Le sol était dans un état désastreux, couvert de terre, de mauvaises herbes et encombré de déchets divers (comment diable un cadavre de ballon de baudruche avait atterrit là?).
Il fallait être organisé. J'allais y arriver, aussi insurmontable que cette tâche puisse paraître actuellement. Je vidai le meuble en fer forgé qui accueillait les plantes en petit pot, et y passai l'éponge. J'en profitai pour passer aussi un coup sur les pots. Certains étaient noirs de crasse. La nature produit une quantité de poussière phénoménale...
Je remis les pots en place. Puis j'ôtai la bâche de protection de la table en bois. Elle avait gardé son bel aspect brillant, à mon grand soulagement. Je devrais sans doute remettre une couche de vernis à l'automne, mais mis à part un nettoyage succin, elle ne nécessitait pas gros travaux. J'allai chercher ma toile cirée et la dépliait amoureusement. Une multitude de cigales vint couvrir le meuble. Ce tissu jaune pleins d'insectes chantant annonçait à lui seul le printemps et les beaux jours.
J'avais mal au dos. Mes vertèbres protestèrent bruyamment quand je m'étirai. Mes épaules étaient engourdies et j'étais sale au delà des mots. Mes vêtements collaient à ma peau, j'avais les paumes moites et les cheveux poisseux. Mais je devais finir.
Il ne manquait encore quelques détails dont un important : le parasol. Je l'avais au premier abord choisi vert, histoire de rappeler le jardin qui entourait la terrasse. Mais cette couleur, si vive pour les plantes, me donnait une teinte maladive. J'en avais donc racheté un, orange cette fois. Il était neuf. Avec le soleil de ce jour, j'allais de suite savoir s'il convenait. J'enlevai le sachet de protection, plaçai le pied dans le trou prévu à cet effet au centre de la table, et l'ouvris. Magnifique ! Festif, coloré, idéal ! Je l'admirai plusieurs minutes.
Mais pour profiter de ce parasol, il fallait encore pulvériser le produit contre les mauvaises herbes. J'en avais choisi un naturel cette année, après avoir failli m'intoxiquer l'an précédent. Il mettrait sans doute plus de temps à agir, mais quelques herbes folles n'allaient pas gâcher le printemps.
Maintenant, il me fallait passer le balai de paille. Travail pénible et éprouvant s'il en est ! Un bon coup de nettoyeur vapeur par dessus et mes carreaux retrouvèrent leur belle couleur beige.
J'avais besoin d'une douche. Je me lavai, enfilai un débardeur, me versai un thé glacé et sortis à nouveau.
Je regardai mes quelques mètres carré. Il manquait encore une chose. Je souris et sortis du garage ma chaise longue. Je l'installai, dos au soleil, et après mon dur labeur, je profitai enfin de mon petit espace à moi, ma terrasse.