La leçon de piano

etiennebnc

Ecrit pour un concours d'écriture dont le thème était : La leçon.

Mes leçons de piano ont été des leçons surréalistes, où, les pieds nus, je pédalais dans la semoule, transformant Mozart, Beethoven et Chopin en un couscous indigeste cuisiné par un chef du Pas-de-Calais.

Je n'ai jamais été bon en musique, et je n'ai jamais aimé la manière dont mon premier professeur m'apprit les rudiments de l'instrument, avec rudesse et sentiments. Car quand il ne passait pas ses doigts sur les touches du clavier, il touchait mes jambes flagellantes du débutant apeuré. Son regard lubrique envers mes petites mains de collégien ne me conciliait guère avec les compositeurs romantiques. Quand on me parlait de Schubert ou Liszt, je voyais plutôt l'amour et les roses et non les ruses de la mort de ce musicien morbide, morose et risible. Je n'osais plus lever mes doigts sur le clavier, si ce n'est mon majeur quand il venait me caresser. Je lui aurai bien composé un requiem à la Gainsbarre, avant qu'il ne se retrouve derrière les barreaux. La complainte facile du pédophile syphilitique sur dos de mineur, clé de bras dans son ut, sa bitte molle sur la portée, double peine en double-croche, partition à perpétuité. Allegro porc ! Je l'aurais bien Andante à coups de double-barre. Le mesurer à un coup de croche ! Le transformer en Django Reinhardt du piano ! Si j'avais été en âge de me défendre, ses roubignolles auraient fait le tour du cadran, les 24h du Mans. Pif, paf, pouf ! Mes orteils à hauteur de ses oreilles. Mon poing qui s'exclame de manière impérative, une conclusion hâtive et définitive. Plus qu'infinitif, une finition incisive. 

Ah ! J'aurais bien tiré sur le pianiste.

Mais j'étais jeune et il n'était pas innocent. Sans innover face à ce genre d'ordure, j'ai porté plainte et me suis retrouvé en pleine audition devant les policiers. 

Je voulais lâcher la musique, d'autant que le bac approchait. Mais c'était sans compter l'obstination en ostinato de mes parents.

Ma première leçon de piano avec mon second professeur fut différente à bien des égards. Mon professeur était UNE professeure. Une magnifique femme blonde : des mains de déesse, une démone du regard, une voix de cantatrice à en faire perdre mes cheveux… Je montais donc sur mes grands chevaux. Avec cette nouvelle prof, je passais du coq à l'âne, où plutôt du putois à la panthère.

Mes leçons musicales devinrent aussi sentimentales. Et je pus voir en elle la femme de mes rêves. Elle me donnait des trémolos dans la voix…Dans mon pantalon, ça vrillait, j'avais la trille… Maîtresse et femme, un drôle d'assemblage fou et plein de charme. J'aurai tellement aimé transformé cette blanche en ronde, avant quelle n'engendre des petites notes. Mais à l'écoute de ma déclaration elle n'eut qu'un long soupir. Pathétique.

Ah ! J'aurai bien tiré la pianiste.

Mais je n'étais plus si jeune, et j'aurais été coupable. A cela, j'ai préféré arrêter mes leçons. J'aurai appris un peu le piano, et beaucoup sur l'amour. Les rêves et les désillusions…

Retenir la leçon. De mes deux professeurs de piano, l'un l'aura bien retenue. Quant à la seconde, la prima donna me la donna. Et je fus bien heureux de l'accepter, car si désormais mon piano est au panier, l'amour lui, est bel et bien dans le pré… avec une violoniste.

Ah mes leçons de piano… On pourrait en faire un film. Je suis sûr qu'à Cannes on serait les Campions !

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