La lessive de la Parapluie

tantdebelleshistoires

Dans les années 50, la corvée de la lessive et l’avènement des machines à laver qui révolutionna le quotidien des ménagères

Marcelle soufrait depuis des mois d'une sciatique chronique qui les jours de crise l'obligeait à se déplacer le genou sur une chaise. Le docteur l'avait prévenu, il lui fallait cesser au plus vite toutes les tâches ménagères. La plus pénible d'entre elles était la lessive du lundi, une corvée qui revenait immuablement chaque semaine et la laissait courbée en deux. Elle n'avait plus la force de soulever la lourde lessiveuse pour la mettre à bouillir sur la gazinière, d'en ressortir les draps pesants et dégoulinants d'eau savonneuse, de les mettre dans la grande panière en osier, de les porter au lavoir de la cour commune pour les frotter à la brosse à chiendent, de les battre, de les rincer, de les tordre et de les étendre.

Les semonces du médecin la décidèrent à embaucher une aide. Elle fit marcher le bouche à oreilles et chercha longtemps dans sa petite ville et dans les villages alentour mais les bonnes laveuses ne couraient pas les rues, elle ne trouva personne.

Y'a bien la Parapluie lui dit sa voisine un matin en secouant ses descentes de lit par la fenêtre de la maison d'en face. Mais si Marcelle vous la connaissez, c'est la vieille bohémienne qu'habite rues des soupirs. Elle loue ses bras pour quelques sous, elle vous prendra pas cher.

Pourquoi qu'on l'appelle la Parapluie ? demanda Marcelle incrédule

Bin parce que du tant qu'elle était bohémienne, elle réparerait les baleines d'ombrelles et de parapluies, pardi !

La Parapluie arriva donc dans la cour de Marcelle par un beau jour de soleil, un grand chapeau de paille sur sa tête, des godillots aux pieds ; elle poussait une immense brouette et assortit son bonjour d'un grand sourire édenté qui la faisait ressembler à la sorcière de Blanche neige. Les deux petites filles se cachèrent derrière leur mère ce qui fit bien rire la grosse femme qui se gaussa en soutenant son opulente poitrine. Elle ne sentait pas très bon et ses mains rompues à tous les travaux n'étaient pas très propres mais étaient aussi grandes que ses battoirs. Marcelle la détailla de haut en bas, haussa les épaules et se rassura en se disant qu'elle semblait forte comme un homme et que les lourdes brassées de linge ne devaient pas lui faire peur. En l'absence de concurrentes, elle fut embauchée.

La Parapluie se mit immédiatement au travail et Marcelle soupira en voyant son beau linge blanc pressé contre le tablier douteux de la nouvelle laveuse. Au fil des semaines, elle s'avéra pourtant bien brave la bohémienne, courageuse et généreuse avec toujours un bonbon ou une babiole pour les filles. Elle souriait tout le temps en appuyant sur son chicot avec le bout de sa langue, cela faisait rire les fillettes qui n'avaient plus peur et ne la quittait plus d'une semelle.

Marcelle prenait donc son mal en patience en attendant de pouvoir reprendre ses activités.

Mais un jour pas fait comme un autre, la Parapluie décréta qu'elle ne pouvait plus lessiver au lavoir de la cour et  qu'elle emmènerait désormais le linge chez elle.

Quelle mouche l'avait piquée se demanda Marcelle ?

Une fois de plus, elle n'avait pas le choix. Le linge revint quelques jours plus tard, bien plié dans une corbeille mais puant le vieux grenier et l'urine de son chat de gouttière.

S'en était trop pour Marcelle, il  fallait au plus vite trouver une solution. Elle avait son idée et finalement cette histoire tombait à pic pour lui fournir un bon prétexte d'en parler à André son mari. Elle avait découpé dans Manufrance la photo d'une machine à laver automatisée, d'ailleurs sa cousine Rolande venait d'en commander une, pourquoi pas elle ?

*****

Une demi-douzaine de voisines étaient rassemblées en arc de cercle dans l'étroit cagibi de la cousine Rolande. Les ménagères volubiles commentaient l'événement sous le regard vaniteux de la maîtresse de maison. Tout y passa, la marque, le prix exorbitant, le fonctionnement et même en catimini quelques propos acerbes sur l'hôtesse. Marcelle en première ligne ne s'intéressait qu'à l'engin, une Laden et buvait les paroles du démonstrateur. C'était une grande cuve émaillée avec un disque tournant en caoutchouc et des palmes pour brasser, une rampe à gaz courait au-dessous et assurait le chauffage tandis qu'un petit moteur vidangeait les eaux sales. Oh la machine n'était pas encore complètement autonome, il fallait saisir le linge bouillant avec de longues pinces puis le passer entre deux rouleaux pour extraire l'eau sale et l'enfourner à nouveau dans la machine pour le rincer et ceci à trois reprises. C'était encore laborieux mais tout de même moins fatigant que la lessiveuse et le battage au lavoir.

Marcelle fut conquise, elle racla ses fonds de tiroir et fit  l'acquisition de sa première machine à laver chauffante.

La Parapluie fut remerciée

*****

La Parapluie ne tint jamais rigueur à Marcelle de son éviction au profit du modernisme. Elle continuait de passer de temps à autre pour apporter des sucettes aux gamines et leur conter ses histoires farfelues. Marcelle lui offrait le café et la goutte et la Parapluie secouait son chicot de contentement. Elle sentait toujours aussi mauvais mais avait définitivement abandonné les lessives. Elle ne traînait plus sa brouette mais un immense cabas mystérieux qui intriguait beaucoup Denise et Hélène.

Je crois bien que depuis, elle s'est remise à réparer,

devinez quoi ? Des parapluies.

 

 

  • On s’y croirait, on y ait ! J’ai eu la chance, enfant, en bon parigot, de passer toutes mes grandes vacances à la campagne dans un trou perdu. Mais en ces temps-là, tous les trous perdus avaient un lavoir. J’aimais bien, assister aux séances de lavage par les femmes du hameau, chacune dans sa caisse en bois perso, pour soulager le dos. Je les aidais, un peu, je les écoutais, surtout. Le travail était dur, mais à la campagne tout travail est dur et ça rigolait beaucoup à coup d’anecdotes, de ragots aussi ! Qu’importe toute une vie communautaire se jouait là, une pièce toujours renouvelée. Les hommes allaient au café pour souffler et boire un peu aussi et même beaucoup. Les femmes allaient au lavoir pour travailler et échanger. Moi, je n’avais pas le droit au bistrot, donc j’avais pris option lavoir. Merci pour ton texte, cela m’a rajeuni, ma foi !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Oui Hervé le lavoir et le bistrot étaient des lieux de vie sociale.
      Chaque village avait son lavoir et actuellement beaucoup de communes les rénovent, ils font parti de notre patrimoine populaire.
      Le lavoir de mon histoire était un grand bac privé commun aux habitants d'une cour dans une petite ville.
      Tient, toi qui est de Paris, comment lavait-on dans la capitale, il y avait des lavoirs de quartiers? Il faut que je cherche ça.
      Merci de ton commentaire et de me lire
      Bon dimanche

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      tantdebelleshistoires

    • Non je suis trop jeune, pour une fois, pour avoir connu des lavoirs parisiens à Paris, justement. Ma mère avait déjà une machine à laver au gaz, qui lavait autant qu’elle se déplaçait d’une pièce à l’autre. Tient voilà, la machine à laver qui passe ! Normal ! Elle était cependant limitée par ses laisses électriques et ses tuyaux gazeux.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Tout à fait charmant comme histoire!

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

  • Ça c'est vrai ca

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Img 20210803 205753

    enzogrimaldi7

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