La lettre d'amour
Vincent Vigneron
il y a à vos côtés, Madame, un bichon
ou Dieu sait quelle race de chien d'humeur lunaire
qu'un vôtre ami, un Andalou, un comte il me semble
vous a offert à l'occasion du baptême de votre nièce
quand vous lirez cette lettre, qui est un poème
qui est une symphonie maladroite
qui est un murmure à peine calaminé de braises nouvelles
prenez dans vos bras ce bichon
et déposez-le sur une méridienne loin de vous
qu'entre vous et moi n'existe qu'un espace privé
constitué du voilage invisible de prières affolées
quand vous lirez cette lettre vous aurez contre la poitrine
un bouquet volubile de roses nées au point du jour
j'ai renoncé aux glaïeuls
je l'ai voulu poudre de corail répondant à vos joues
penchées tout au-dessus
quand vous lirez cette lettre devant le maroquin lissé de lumière
vous comprendrez, Madame, et mon tourment et ma joie
vous choisirez je l'espère une toilette aussi humble que possible
je ne suis pas même berger
je ne suis pas encore sonneur du bourdon des Saints Pères de la Thébaïde
rien n'est plus modeste que ma condition
venez me rejoindre
devant la fontaine où nous nous sommes vus
où j'ose croire nous nous sommes plus
près de laquelle j'ai chaviré par la grâce d'un charme
que je vous raconterai un jour
souvenez-vous, nous nous sommes avoués
avoir pleuré de beauté au miracle de l'ogre soleil
dévorant les frondaisons de la vieille auberge
où un jour votre cheval fatigué s'est arrêté
si je ne me trompe c'est moi qui l'ai nourri et referré
quand vous lirez cette lettre, Madame
aurez-vous la bienveillance de me laisser vous appeler Marianne ?
C'est beau!
· Il y a plus de 5 ans ·oriana